Sujet…

(Le texte qui suit n’est que l’amorce pour le groupe de travail de la préparation du colloque de l’AECF Lille en novembre 2009. Quiconque voudra apporter une contribution sera le bienvenu.)

Sujet …

Que le terme de Sujet – confondu avec le Moi à l’heure de causer des pulsions et de leurs destins – soit chez Freud en son corpus un hapax est chose entendue. Que, dès lors, il revienne à Lacan d’en forger le concept en ne cessant d’y revenir, voilà les banalités desquelles nous ne prenons pas notre départ.

Nous partons de ce qui se lit, de l’écrit, et constatons que le dit sujet de l’inconscient n’a rien d’évident. C’est en cela que nous écrivons « sujet … », à lire « sujet points de suspension ». « Sujet de quoi ? » voire « sujet quoi ? ».

Les lignes qui suivent ne sont pas une mise en accusation d’auteurs – on nous épargnera d’y entendre une dénégation. Il s’agit « du sujet enfin en question [1] », soit de ressaisir le sujet comme concept fondamental de la psychanalyse.

Partons de l’étymologie. Sujet signifie « soumis à une autorité souveraine [2] », et a donné subjicere soit « mettre sous » d’où « soumettre ». Cette autorité souveraine, ça n’est ni Dieu ni le Roi de France, mais bel et bien l’Autre en tant que lieu du langage. Si l’inconscient est structuré comme un langage alors le sujet de l’inconscient c’est le sujet sous-mis au langage, autrement dit sous-mis au signifiant (à la chaîne signifiante). C’est ce qu’indique l’écriture de ce qui est devenu un aphorisme : un signifiant représente le sujet pour un autre signifiant.

Par ailleurs, l’ordre des termes n’est pas rien ; le sujet de l’inconscient n’équivaut absolument pas à l’inconscient du sujet, sauf peut-être à vouloir le mettre au pas, de s’en saisir une fois localisé. Si inconscient du sujet il y a, il l’a où ? Dans sa poche tel le fou, dans son cerveau comme le veut le scientiste [3], ou encore telle une aura ?…

Bien sûr, il est des « psychanalystes » pour se prêter au jeu afin de conserver leur pré carré et garder une respectabilité face au nouveau paradigme DSM-TCC-psychopharmaco.

De la respectabilité nous nous moquons ; c’est la responsabilité qui est en jeu. Ici nous paraphrasons volontiers le philosophe [4] et nous disons : la psychanalyse est un champ de bataille. La belle âme n’y a pas sa place. Il ne suffit pas de nous dire agressés par les tenants du nouveau paradigme plus haut cité. L’inconscient n’a pas besoin des psychanalystes pour travailler ; il n’est pas vain alors de nous poser la question de notre collaboration. Nous qui venons après Freud et puis Lacan, nous avons à ré-interroger de manière radicale nos concepts pour ne pas céder à la banalyse [5].

Se poser la question du lieu quant à l’inconscient, quant au sujet, est pourtant une bonne question quand on n’y va pas en colonisateur. C’est ce qu’indiquent les travaux sur la topologie du sujet (Jean-Michel Vappereau). Cette question se pose encore quand il est écrit « sujet inconscient » (Paul-Laurent Assoun) et qu’alors disparaît la préposition comme marquant notamment le lieu.

Schématiquement nous disons que l’inconscient du sujet va de pair avec l’intersubjectivité quand le sujet de l’inconscient renvoie à l’intersignifiance. Citons Lacan : « Intersubjectivité, écrivis-je alors, et Dieu sait à quelles fausses traces l’énoncé de termes tels que celui-là peut donner occasion. (…) Je ne pouvais aller au-devant que du malentendu. Inter, certes, en effet, c’est ce que seule la suite m’a permis d’énoncer d’une intersignifiance, subjectivité de sa conséquence (…). [6] »

Toujours à propos de l’ordre des termes, une formulation remporte un véritable succès dans ce qui se poublie : le sujet du désir (il y aurait ici beaucoup trop d’auteurs à citer). Il nous semble pourtant que Lacan a répondu en 1966 à cette formulation dans sa « Réponse à des étudiants en philosophie » (cf. Autres Ecrits). Nous disons que le sujet du désir porte un autre nom : l’homme économique. Ça n’a rien à voir avec le désir du sujet (et l’éthique du bien-dire)…

Nous ne disons pas qu’il y a le bon sujet – qui serait donc le sujet de l’inconscient – et le mauvais sujet – soit toute autre formulation que celle-là. Parler d’un mauvais sujet c’est ouvrir la voie à la ségrégation, à ce que Lacan indique sur le camp de concentration comme réel de notre lien social. « A la différence du signe, de la fumée qui n’est pas sans feu, feu qu’elle indique avec appel éventuellement à l’éteindre, le symptôme ne s’interprète que dans l’ordre du signifiant. (…) Nous voudrions ici nous démarquer du niveau de plaisanterie où se tiennent d’ordinaire certains débats de principe. En demandant d’où notre regard doit prendre ce que lui propose la fumée, puisque tel est le paradigme classique, quand elle s’offre à lui de monter des fours crématoires. [7] »

Indication – s’il en fallait encore – que toute réflexion quant à la chose politique qui en passe par la chose freudienne nécessite une théorie du sujet (Alain Badiou). D’ailleurs, il y a très peu de temps une formulation autre a été lancée – formulation qui nous paraît particulièrement heureuse et pertinente de lier d’un coup le monstrueux Marx et le détestable Lacan : le sujet de l’échange (René Lew, Lille, le 24/01/2009).

Il y aurait encore bien d’autres formulations à indiquer, des prédicats à questionner ; le sujet du symptôme (Vannina Micheli-Rechtman ; est-ce dire que le sujet est effet de sa production ?), le sujet de la science, l’improbable sujet de l’Histoire, le sujet de vérité (Michel Foucault, cf. Jean Allouch [8]), etc…

Jean-Charles Cordonnier.

Le 13 février 2009.

Notes :

[1] : Lacan Jacques : « Du sujet enfin en question », Ecrits, Paris, éd. Seuil, 1966.
[2] : Bloch O. et von Wartburg W. (sous la direction de) : Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, éd. PUF, coll. Quadrige, 2004, p. 614.
[3] : Entendu dernièrement sur une radio du service public, dans la bouche d’un neuroscientifique de Rennes I : « l’inconscient freudien c’est le cerveau reptilien, ça maintenant on le sait.»
[4] : Kant : « La philosophie est un champ de bataille »
[5] : Nous empruntons ce beau néologisme à Jean Clavreul qui lui-même l’empruntait déjà à d’autres. Cf. L’homme qui marche sous la pluie, Paris, éd. Odile Jacob, 2007.
[6] : Lacan J. : D’un discours qui ne serait pas du semblant, séminaire XVIII, leçon du 13 janvier 1971.
[7] : Lacan J. : « Du sujet enfin en question », Ecrits, Paris, éd. Seuil, 1966, p. 234-235.
[8] : Allouch Jean : La psychanalyse est-elle un exercice spirituel ?, Paris, éd. EPEL, 2007. On appréciera en particulier la pique de la page 12 : « Peut-être a-t-on entrevu, si tant est qu’on l’ait lu [Allouch parle ici de L’herméneutique du sujet de Foucault], qu’en tenir compte impliquerait trop de bouleversements dans la théorie comme dans la pratique psychanalytique. » Dont acte…