DOCUMENT DE TRAVAIL

QUAND « LA BELLE AME » (HUMANISME EXCLUSIF DU SUJET)

SOUTIENT LA « FOLIE » (PREDICATIVITE ABUSIVE /ASSURANCE

ONTOLOGIQUE), LE « DISCOURS DU MAÎTRE » DEVIENT

HEGEMONIQUE ET TOTALITAIRE !

« La marchandise est échangée contre de l’argent ; l’argent est échangé contre la marchandise. Il y a ainsi échange de marchandise contre marchandise, avec cette différence que cet échange est médiatisé. L’acheteur redevient vendeur et le vendeur redevient acheteur. C’est ainsi que chacun est posé dans sa détermination double et opposée, qu’il est l’unité vivante de ces deux déterminations. Cependant, il est tout à fait faux, comme le font les économistes, de ne retenir tout d’un coup, dès que surgissent les contradictions du système monétaire, que les seuls résultats finaux, sans le procès qui les médiatise ; de ne retenir que l’unité, sans la différence, l’affirmation sans la négation. » (Karl MARX. Les GRUNDRISSE)

« Quels que soient les prédicats que j’attribue à une chose, et fussent-ils assez nombreux pour la déterminer complètement, je ne lui ajoute rien, en ajoutant que la chose existe » (E. KANT)

« Mais, et c’est la philosophie des sciences qui nous l’enseigne, il n’y a jamais un chemin royal qui, d’une théorie physique, d’un théorème mathématique ou de résultats d’expérience, mène directement à des conséquences métaphysiques déterminées et nécessaires. (…) L’expérience ne possédant pas à elle seule la force logique de déterminer la théorie scientifique, voire l’interprétation d’une théorie scientifique donnée, cela doit nous permettre, par l’évaluation des conséquences ontologiques des positions en présence, de proposer, à partir de la situation empirique, certaines conséquences métaphysiques et d’en évaluer le coût et/ou la pertinence ». (Claudine THIERCELIN. La connaissance métaphysique. Collège de France/Fayard)

SIGNIFIANCE ET PLURIVOCITE

Lorsque la doxa triomphe, cela signifie que la signifiance est compromise. Le sujet reste en souffrance et le moi qui croit en être libéré en souffre considérablement. Les perturbations que provoquent les illusions ontologiques, sont d’autant plus fortes que l’humanisme, pathognomonique de la « belle âme » fait consensus autour de l’exclusion du sujet. Toutes les idéologies qui promeuvent cette dernière la dissimulent en faisant main basse sur « l’âme à tiers » (RSI de l’inconscient) pour la pervertir en la délestant, en vain du « tiers exclu », du vide insaisissable en soi qui la détermine). Elles dévoient par là même le discours analytique, n’hésitant pas à s’emparer de ses concepts fondamentaux, afin de réduire à néant la raison inédite que la logique asphérique, issue de la négation mise en œuvre par l’inconscient et ses formations, détermine. La signifiance concrétise cette raison et cette logique en mettant en évidence la dépendance du signifiant qui spécifie tout être parlant. Elle assure la plurivocité et confirme le vide qui fait son assise et permet la multiplicité des significations. Elle ouvre la voie à cette vérité -si spécifique au « parlêtre » -, qui fait trait en chacun (e) du fait de la présence constante au trou causé par l’incorporation du symbolique. Partagé par tout un chacun, le symbolique ne cesse désormais jamais d’imprimer sa trace dans toutes les productions et les fictions individuelles et particulières, qui constituent les réalités propres à tout être parlant. Ces dernières contiennent (renferment) l’échappement qui les détermine implicitement. Elles le dévoilent, le mettent plus ou moins au jour sans pour autant qu’elles arrêtent son échappement, qui favorise la mise au jour de cette instance qu’est l’Autre. Cette instance s’avère nécessaire à l’élaboration de toute fiction et proposition, et fait résonner en œuvre une autre raison que celle qui est entendue de prime abord. L’Autre induit ainsi un « défaut » rendant compte d’une division qui empêche le moi de mettre en avant sa souveraineté ontologique, dans le but de passer pour le maître absolu de ses constructions. Il ne peut proposer ces dernières que sous forme d’énoncés qui respectent des modalités renvoyant nécessairement à sa dépendance du symbolique, laquelle ampute sa complétude ontologique en mettant au jour son altérité constitutive, induite et imposée par cette instance, porteuse du sujet. Un des paradoxes, et non des moindres, qui prend part à cette vérité inhérente à la structure du sujet, consiste en ce que la cure analytique consolide de façon continue et constante l’incurabilité du « défaut de rapport sexuel ». Ainsi, l’échappement qui confirme la faille, propre à la structure du sujet, finit-il par rendre le manque de plus en plus consistant, à travers les objets qui le concrétisent et « l’objectivent ». De ce fait, « l’objet a » n’a rien à voir avec quelque nihilisme que ce soit, et le ratage objectal qu’il détermine, préserve de l’obscénité du rapport sexuel ou de la transgression de l’interdit que pose la jouissance phallique en tant qu’elle impose l’altérité concomitamment au sujet, et que les « fous » ne cessent de refuser et de récuser par tous les moyens possibles et imaginables. Le positivisme scientifique, tout aussi embourbé dans la prédicativité, que les idéologies humanistes, considérés comme pragmatiques quant à leur rejet du sujet, restent tributaires à jamais du signifiant et de ses conséquences logiques, comme le montre la citation de MARX mise en exergue de cet écrit.

L’insaisissabilité de S1 ou de l’intension, inhérente au symbolique, induit le réel. L’ordre symbolique, représenté par la paire signifiante S1-S2, commande le processus de métaphorisation et d’ « objectalisation objectivante » , lequel consiste à fixer par une matérialisation imaginaire et symbolique, constitutive des extensions (S2), ce qui échappe et donne cependant sa consistance à une essence qui fuit continûment. Cet échappement ou cette fuite qui spécifie l’intension (S1) transcende toutes les métaphorisations possibles et imaginables (S2). Il instaure et alimente la métonymie qui se profile et se faufile derrière toute métaphore. En d’autres termes, cette insaisissabilité indique un défaut structural dont jouit tout « parlêtre ». L’existence de chacun (e) s’enrichit de diverses créations qui finissent toutes par confirmer ce défaut, malgré ce qu’elles peuvent laisser entendre ou paraître. Aussi, les montages pulsionnels des uns et des autres, se fondent-ils sur la collusion entre « l’objet a » et le « plus de jouir » que le désir maintient constamment en tension l’un avec l’autre. Congruent avec l’intension (S1) et l’« unarité » (unité altérée par l’Autre et manquante), le « plus de jouir » procède du « défaut de rapport sexuel », qui finit par mettre en échec toute ontologie et ses illusions essentialistes. Suturer la signifiance par une construction univoque, méconnaissant le signifiant et ses conséquences sur le plan structural, s’avère toujours toxique pour le sujet et l’existence, quels que soient les compensations, et autres suppléances imaginaires obtenues. Le sujet fait valoir l’inconscient en tant qu’il représente la positivité de la négation qu’il met en œuvre. Il anime une dialectique subjective inédite qui est alimentée sans cesse par un défaut, articulé au manque et en dernière instance au désir en tant qu’il met en jeu l’objet qui le cause : « l’objet a », témoin de la subversion du corps par son inscription et son insertion définitives dans l’ordre symbolique. Désormais, l’inconscient est le moteur de l’hérésie qui ébranle la conscience et la raison qu’elle promeut. Et à vouloir imposer sa suprématie, le moi rencontre un obstacle qui le fait plus ou moins souffrir.

Ce que j’appelle « folie » (irresponsabilité, ne pas répondre de soi), à la suite de LACAN, et qui peut s’accoupler avec la « belle âme », c’est la conjonction entre la paranoïa et la débilité qui se traduisent par l’hégémonisme caricatural du discours du maître, dont la structure, fondée sur la subjectivité, rend impossible l’exclusion de celle-ci.et exclut complètement cette dernière, Cette folie , matrice d’irresponsabilité, est encouragée par maintes idéologies et théories scientifiques-de type mécaniciste notamment-, qui ne jurent que par une prédicativité, exclusive du sujet et de la négation qu’il implique. Elle aggrave et accentue la souffrance du moi en mal de suprématie. Quant à la « belle âme », elle est à l’œuvre dans les morales qui prônent la générosité et la gentillesse. Le caractère obséquieux, quasi-religieux, qu’elle développe et exhibe, a du mal à masquer une culpabilité qui contient une agressivité dont les manifestations d’abord feintes, finissent par éclater au grand jour. Incarnée par des humanistes de tous bords, qui n’ont de cesse de mettre à bas le sujet, elle fait main basse sur « l’âme-à-tiers » en psychologisant outrancièrement et outrageusement la subjectivité, en saturant la faille, nécessaire à l’existence, par l’addition de conceptions prédicatives consensuelles, prétendant ainsi la suturer, au détriment du désir et de sa loi. La folie qui consiste à rejeter le sujet et à s’abîmer dans l’irresponsabilité, est largement favorisée et encouragée par l’aliénation sociale et les idéologies dont la prédicativité, de quelque nature qu’elle soit, vise à boucher, à suturer le défaut structural, quitte à susciter, à terme des « boucheries » dont l’échec à combler le vide est de plus en plus patent. Les « bouchers » se recrutent parmi tous les « bouchés » qui pullulent et font masse au sujet !

« La boucherie » (Cf. les travaux de Pierre LEGENDRE) est le stade ultime de la quête et de l’appropriation d’attributs et de prédicats qui organisent la demande d’assurance ontologique. (Tuer pour s’assurer d’être soi-même et ne pas être contredit : tu es-tuer/je suis) Les excès extensionnels de nature prédicative abusent en définitive l’intension. Ils se heurtent à un obstacle dont l’invincibilité déchaîne des haines meurtrières : celle des autres, et celle de soi-même. Le « parêtre » (à côté de l’impossible être » ou de la « plaque ontologique ») est insuffisant et insupportable pour tous ceux et toutes celles qui récusent le sujet en tant qu’il consacre définitivement « la mort de l’être », causée par l’intégration définitive dans l’ordre symbolique Cette mort qui génère le sujet dernière soutient et anime la métonymie en tant qu’elle est source de métaphores, constitutives du « parêtre », dont les aléas et les vicissitudes font l’histoire de « l’hainamoration », propre à chacun (e), désormais défini (e) comme le résultat de ce qu’il (elle) n’est pas, et ce, quels que soient ses attributs réels et/ou imaginaires.

Quelles que soient les réserves qu’on peut émettre à l’endroit de certains énoncés lacaniens, il n’en demeure pas moins que la radicalité de la coupure épistémologique qu’il a opérée dans la psychanalyse postfreudienne, constitue un levier solide, apte, non seulement à consolider et à approfondir ses différents apports, mais aussi à apporter les rectifications qu’ils requièrent. La « métaphysique » lacanienne prolonge la métapsychologie freudienne ! La « compactification de la faille » produite par la cure, marque définitivement l’existence : elle se prolonge tant sur le plan théorique que pratique et concret. Elle permet d’abandonner la folie groupale qui n’a de cesse d’exclure le sujet, par quelque moyen que ce soit. Cette dernière incite le moi à se débattre dans les impasses de l’ontologie, quitte à endurer les pires souffrances. Alors que le sujet, comme négation de l’être, enrichit le moi -représentant de l’humain pour « la belle âme », en mettant au jour son irréversible « manque à être », en même temps qu’il le renforce pour soutenir une quête de supplémentation qui ne complète d’aucune façon le moi en mal de complétude. Ainsi, l’ouverture au transfini s’impose pour confirmer la faille, et entretenir sa « compactification ».

La radicalité du DA possède le même tranchant que l’acte analytique qui conjoint dans la coupure une rupture épistémique et éthique. Elle met fin à toute illusion ontologique exclusive du sujet, tel que le fantasme la met en scène, aidé en cela par toutes les conceptions philosophiques « modernes », promotrices d’une nouvelle ontologie, soutenue par des références scientifiques comme les sciences cognitives, consolidatrices de la sphéricité et de la raison bilatère en tant qu’elles demeurent réfractaires au sujet comme négation de l’être. Il suffit d’accorder un peu d’attention à toutes ces idéologies humanistes qui ne cessent de se plaindre et d’imputer aux drames de « l’humanité » le manque d’amour qui la caractérise, alors qu’il en constitue une cause majeure, tant ses définitions -implicites et explicites- sont insuffisantes et hasardeuses, obérées qu’elles sont par la passion des illusions que nourrit le narcissisme secondaire. Aussi, revendiquer et demander encore plus de cet amour, revient à mon sens à « jeter de l’huile sur le feu », et aggraver encore plus les malheurs courants, inhérents à la tautologie totalitaire que contient cet amour, vecteur d’un impensé, porteur d’impasses mortifères. (Cf. « la connaissance métaphysique de Claude THIERCELIN. Collège de France/Fayard. 2011).

Le risque de s’enliser dans une impasse théorique et politique est grand dès lors qu’une conception théorique se présente comme le modèle idéal de la prédicativité et de la conquête ontologique. Prétendant détenir le savoir pourvoyeur et garant de la solution idoine, elle ne peut que s’opposer fondamentalement au discours analytique, qui ne cesse de mettre en évidence la faille inhérente à l’incorporation du symbolique, et partant à la dépendance di signifiant dont la structure implique une imprédicativité essentielle

Dès lors que l’inconscient est évoqué et convoqué, le vide reprend ses droits en tant qu’il n’est pas saisissable d’emblée comme tel. Seuls les effets qu’il engendre le concrétisent et le matérialisent en mettant en œuvre une temporalité, dont la spécificité est représentée par le futur antérieur, en tant qu’il bouleverse les rapports entre l’antécédence et la conséquence, prônés par la raison bilatère ou sphérique. La logique, animée par ce vide, met au jour un défaut d’appropriation de soi et de complétude : elle articule l’ex nihilo, qui donne sa consistance à ce dernier, avec le désir, qui détermine des choix de relations objectales, aussi matérielles que concrètes, donnant corps aux diverses extensions (S2), sur fond de ratage irrévocable Son inaccessibilité lui confère son omniprésence implicite et latente.

Ce vide est d’autant plus précieux qu’il détermine toutes les extensions derrière lesquels il « se fait oublier » comme cause. Ce qu’il engendre participe à son refoulement. Maintenu ainsi insu par tout ce qu’il produit le conduit à être identifié au « néant ». Or, S’il y a une continuité de la chaîne signifiante, c’est bien parce qu’il l’alimente et la soutient constamment : il introduit cette temporalité, apparemment anachronique qui ouvre sur un au-delà des extensions en transcendant la simple chronologie. Il complexifie ainsi les extensions !

Le tour de force qui caractérise le discours analytique, consiste à « réanimer » non seulement ce qui est insaisissable en soi, mais aussi ce qui est non-identique à soi, constitutifs de l’intension qui se terre dans les plis et les replis de toutes les extensions.

En proie à la difficulté d’être, la réalisation ontologique, accompagnée de nostalgie, est parsemée d’embûches, source de multiples trébuchements provoqués par les rencontres insidieuses et impromptues avec l’intension et ce qu’elle implique quant à la place du sujet. Tout (e) « candidat(e) à l’accomplissement de soi » (avec ou sans coach) se heurte à l’inévitable désir, dont la loi bat en brèche toutes les illusions mises au service de la xénopathie et entretenues par une haine de l’Autre qui débouche sur une perversion condamnant d’autant plus au pire que les encouragements à transgresser le désir et sa loi sont constants et permanents.

Enfin, si l’acte psychanalytique confirme, dans la cure, l’incurabilité du « défaut de rapport sexuel », malgré tous les chants des sirènes prédicatives, c’est parce que la continuité du vide se traduit par une répétition qui articule ce défaut et l’ « unarité » propre au sujet en tant qu’il détermine la production d’énoncés dans lesquels, parce que les propositions qui adviennent- comme hypothèses et suppositions-, procèdent comme conséquences d’une antécédence qui n’est jamais là comme une donnée a priori, préétablie et déjà là, mais à construire et à mettre en évidence après-coup. Aussi, « ne pas céder sur son désir », comme le souligne LACAN, revient-il à se fonder sans relâche sur le « défaut de rapport sexuel » et tout ce qu’il induit quant à la reconnaissance du sujet comme négation vitale pour le moi.

Amîn HADJ-MOURI

19 mars 2023

(19 mars1962, date historique !)

(A suivre)

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