A.HADJ-MOURI – COMMENTAIRE AU TEXTE DE BENOÎT LAURIE : « PSYCHANALYSE EN CMPP- SUITE AU COLLOQUE FDCMPP-PARIS 2015 »

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« L’objet, c’est un raté. L’essence de l’objet, c’est le ratage » (LACAN. Encore).

« Il ne faut pas convaincre. Le propre de la psychanalyse, c’est de ne pas vaincre, con ou pas. » (LACAN. Encore).

« Rien de plus compact qu’une faille » (LACAN. Encore)

Commenter un écrit revient à se livrer à un travail critique qui déconstruit (évide, rend opérant le vide enserré par le texte et le régénère) certaines formulations et propositions, en vue de les amender, c’est à dire de les (re)construire afin qu’elles ne dégradent pas trop le discours –en l’occurrence analytique- auquel elles se réfèrent. Il est inutile de dire, notamment pour ceux qui ne confondent pas la cure psychanalytique avec une conversion idéologique, qu’il ne s’agit pas de « faire la leçon », mais d’échanger à partir de l’échappement, induit par la structure signifiante, et auquel est soumis tout être parlant. Car il n’y a pas de psychanalyse en dehors du discours analytique, qui est un lien social, totalement étranger aux imposteurs, qui croient qu’en s’emparant de « fanfreluches » psychanalytiques, ils parviendront à mettre à bas la logique spécifique de l’inconscient, instauratrice d’un entendement, libérateur de la débilité ambiante et de son « illettrisme ». Cette dernière demeure et demeurera encore, nécessairement. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit soutenue, sinon elle risque de devenir écrasante et hégémonique, et surtout exclusive de tout évidement.

Entendement ? Voilà un terme qu’utilise Benoît à plusieurs reprises et qui, me semble-t-il-, prête à équivoque, d’autant qu’il évoque « le bon entendement » aussi bien en psychanalyse qu’ en politique.

On peut considérer que la controverse de Copenhague qui oppose Niels BOHR à EINSTEIN notamment, relève de cette problématique, au sens où l’entendement de ce dernier quant à la nature de la réalité, s’oppose à la conception inédite et hérétique de celui-là. Cette controverse met aux prises l’entendement et la raison classiques qui privilégient la réalité objective en tant qu’elle est préétablie, toujours déjà là, à l’ex nihilo de la conception quantique, qui ne disqualifie en rien les avancées et les découvertes d’EINSTEIN. L’entendement proposé par Niels BOHR a fini par avoir raison de la conception d’EINSTEIN, lorsque John BELL trouve (1964) l’écriture mathématique (équation), qui rend compte justement de la nature non établie a priori de la réalité. Ce progrès procède du dépassement des travaux qui faisaient prévaloir un certain entendement. Il ne représente pas une sanction ou une dévalorisation des théories antérieures, sans lesquelles il n’aurait pas eu lieu. Il implique le désir et l’audace de les défaire, avec le risque important d’échouer à mettre en évidence et en œuvre un entendement qui fasse coupure avec celui qui domine, mais qui se voit désormais subverti, au point de perdre son hégémonie. Ce parcours scientifique en physique est comparable avec ce qui s’est passé concernant la rupture épistémologique freudienne par rapport à la médecine et à la psychologie, rupture fondée et « mathémisée » (écrite) par LACAN.

L’hérésie de BOHR rencontre celle de FREUD, que ressuscite et étaye LACAN, au sens où l’accent est mis avec insistance et persistance sur le vide et son caractère opératoire, métonymique, dont la saisie passe nécessairement par le biais d’une métaphore objectivante, sans pour autant que cette objectivation/objectalisation –refoulante du vide qui l’engendre- se confonde avec une objectivité absolue.

En effet, l’entendement classique, la logique qui déterminent la médecine et la psychologie ne veulent rien entendre du « meurtre de la chose » que réalise le signifiant, et qui constitue la « lalangue », subsumée par toute langue et par toutes les langues différentes. Elle les détermine en même temps qu’elle leur échappe, sauvant ainsi la lettre, assise de l’inexorable manque à être, nécessaire à l’existence. La lettre est au fondement de cette « lalangue » qui transcende toutes les langues pour faire valoir celle-là comme trace ineffaçable de la subversion du corps, soumis à un sens issu d’une certaine conception de la place et de la valeur accordées à la lettre. Cependant quels que soient la forme et le caractère imaginaires (« objectifs ») que cette dernière revêt nécessairement, l’ordre symbolique –caractérisé par son incomplétude- sera toujours implicitement présent. Ainsi, le principe de présentification de l’absence est constamment à l’œuvre avec le signifiant, qui s’impose même à ceux qui le rejettent et dénient son efficace, au titre de la défense de l‘entendement classique, à l’œuvre dans les discours qui convoitent la complétude ontologique en imposant le raisonnement hypothético-déductif et le rapport de causalité dans lequel l’antécédence est première et la conséquence son effet direct. Avec un tel entendement, le sujet (de l’inconscient) n’a plus sa place puisque ses manifestations relèvent de la pathologie qui implique un défaut qu’il s’agit de réparer « objectivement ». Alors qu’elles sont un biais qui concrétise et métaphorise la structure subjective, insaisissable par définition. Ce qui est considéré comme objectif n’est que la matérialisation de ce qui échappe dont le refoulement pousse à une objectivité de plus en plus stérile, au sens où l’échappement ne se tarit d’aucune façon, quel que soit le mode d’objectivation choisi. Combien de déclarations « anti-maîtrise » s’avèrent des dénégations, lorsque l’on se rend compte que ceux qui les profèrent sont enlisés dans des savoirs médico-psychologiques, dont l’entendement est exclusif de l’inconscient, qu’ils bafouent de la sorte ! Quant à l’humanisme compensateur, bien souvent convoqué, il vient montrer que sa fonction consiste à faire barrage à l’amour, défini comme « le don de ce qu’on n’a pas » (LACAN), qui oriente vers le vide partagé, favorable à l’advenue du sujet.

Parler de bon entendement en psychanalyse est possible, parce que c’est dans le cadre de ce lien social, qu’on peut occuper une position qui permet d’entendre ce qui est inouï partout ailleurs, à savoir, « qu’on dise (le dire) reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » (LACAN). Faire entendre cela et insister pour que le dire (l’énonciation), corrélatif de l’échappement, et déterminé par das Ding, se maintienne à cette place primordiale, ne signifie aucunement se poser en donneur de leçon. Il s’agit simplement de mettre sous le nez de certains imposteurs leurs propres inconséquences, qui finiraient par faire équivaloir des conceptions sphériques et bilatères avec l’asphéricité inhérente à ce dire, qui en reste cependant tributaire et dépendant. Pas d’unilatère sans bilatère, mais surtout, que le bilatère n’ensevelisse pas l’unilatère, sans lequel il n’adviendrait pas. Cette dialectique (nouage) moebienne que FREUD a inaugurée et que LACAN a fondée logiquement, est engagée dans ce bon entendement.

Pour s’opposer résolument à la dépravation des cures en conversions idéologiques, il est impératif de rendre audible le vide par l’évidement de tout ce qui a tendance à l’occulter par obturation. Sonoriser en quelque sorte le vide par la création et l’invention (sublimation) peut aider à faire entendre le défaut de rapport sexuel dans une institution : pratiquer l’évidement pour le mettre au service du ratage, qui libère de cette illusion de transcription fidèle et exacte du réel. Il devient alors possible de se déprendre des slogans nourrissant le psittacisme et le conformisme uniformisant pour reconnaître et mettre sans cesse en avant sa dépendance du signifiant, et de toutes les conséquences qui s’ensuivent.

Tenir à cet entendement qui offre l’intelligence de l’échappement-qui n’est pas qu’un slogan idéologique ou un mot de passe à l’usage d’imposteurs- n’a rien à voir avec une quelconque infatuation imaginaire, dont ces derniers sont très friands, sous une forme généralement dénégative. En effet, le bon entendement n’est bon que s’il est correctement établi sur la condition irréversible de dupe, qui n’a plus horreur de l’inconscient en tant qu’il met en défaut l’identité, en promouvant l’altérité et le principe de non-identité à soi, inacceptable pour l’idéologie dominante et ses diverses versions, des plus xénopathiques aux plus humanistes, même si elles ne sont pas confondables et identifiables totalement entre elles.

L’éthique du discours analytique nous amène à insister, à l’intention, entre autres, des « durs de la feuille », incarcérés dans un discours qui n’ouvre pas leur entendement, que toute proposition est « naturellement » bilatère et, à ce titre, nécessaire. Mais elle n’impose pas de s’y arrêter et de la prendre pour une fin en soi. Son évidement et son dépassement sont possibles grâce à la structure signifiante qui la détermine, et dont elle est totalement dépendante. Ces opérations s’appuient sur le fondement signifiant des propositions, dont le sens peut s’avérer incorrect et/ou insuffisant, en raison de la signifiance qui l’autorise en le sous-tendant et en le soutenant, tout en le rendant équivoque, et partant modifiable. La métonymie nourrit ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ! Et si « la leçon » revient à stimuler le travail (métonymique), alors il faut augmenter le son !!! pour se désadapter au sens imposé par conceptions amputées et infirmes, qui ne souffrent pas le ratage des divers attributs qu’elles offrent pour venir à bout du manque à être, auquel elles restent sourdes, malgré tous les appels lancés par les symptômes. Le bon entendement de ceux-ci consiste précisément à les entendre et à les lire comme la confirmation après-coup de la pérennité et de l’éternité de ce manque à être, dont l’indépassabilité autorise le passage – comme dépassement- vers un sens nouveau, intégrant et incluant désormais la signifiance, antérieurement rejetée et exclue. Si « la leçon » consiste à introduire cette dimension capitale, alors continuons de la mener et de la développer, à l’encontre des bonnes âmes, qui continuent à paver l’enfer de leurs bonnes intentions et autres illusions, mortifères pour la subjectivité. La haine mortelle vouée à la vérité qui, nécessairement « mi-dite », induit l’impossibilité, nourrit abondamment l’illettrisme alphabétisé, massacreur du sujet. Ces illettrés, qui refusent activement la surdétermination de l’ordre symbolique et son incomplétude déterminante, sont très confortés et soutenus par les détenteurs de pouvoir institutionnel, soumis aux impératifs de politiques de santé publique, de plus en plus exclusifs de l’inconscient. Ce rejet de la subjectivité et de sa logique, qui admet et met en oeuvre une scientificité imprédicative, est exploité par ceux qui se présentent comme les grands défenseurs de l’inconscient et réduisent le débat en opposant celui-ci -facteur d’humanisme- au scientisme considéré comme inhumain. Alors que l’enjeu concerne les questions de prédicativité/imprédicativité qui intéressent aussi bien les sciences dites dures que les sciences dites humaines, lesquelles ne garantissent aucunement la subjectivité et le sujet. Il suffit pour cela de lire les propos tenus par Roland Gori dans les colonnes du journal l’Humanité (26/12/2015) qui l’identifient, non pas à un analyste, serviteur du discours analytique, mais à un banal idéologue, distributeur de béatitudes humanistes, radicalement opposées à la logique subjective et signifiante, mais qu’une certaine gauche, paupérisée et « larguée », semble redécouvrir en ce moment, pour se « raccrocher » à l’idéologie dominante, celle qui ne cesse de réactiver et d’alimenter la guerre des prédicativités, pour mieux enterrer l’imprédicativité inhérente à l’inconscient, semant par là même la mort. Ainsi, et de plus en plus, sommes-nous confrontés à deux formes d’illettrisme : celle qui idéalise le savoir jusqu’à l’absolutiser pour en tirer un métalangage qui viendra à bout du mi-dit de la vérité, et celle qui rejette le savoir pour éviter d’avoir affaire à ses écueils, qui peuvent révéler la signifiance et mettre au jour l’échappement, insupportables pour les tenants des conceptions bilatères prédicatives, exclusives de l’unilatère qui les détermine, voire les transcende pour les laisser béantes, c’est à dire interrogeables et problématisables.

Le bricolage (« le biaisage »), auquel nous contraint l’incomplétude du symbolique, doit intégrer la structure signifiante. Il ne peut équivaloir à un autre type de bricolage qui en fait fi, même s’il s’agit dans les deux cas de bricolage ! Un entendement libéré de la domination exclusive de la prédicativité, facilite les conditions d’un passage d’un discours à un autre, et rend audible une logique à laquelle on pouvait être hermétique auparavant. Il en est ainsi de l’abandon de toute référence à la pathologie mentale ou psychopathologie dès lors que la subjectivité est invoquée et qu’un symptôme cesse d’être un signe et est élevé au rang de signifiant, qui subvertit les constructions médico-psychologiques et les remet à leur juste place, celle d’idéologies, fondamentalement hostiles à l’inconscient, surtout lorsqu’elles s’en accaparent pour le vider de sa logique spécifique, laquelle ne s’accommode guère avec les théories psychopathologiques qui débouchent immanquablement sur le massacre de la subjectivité.

S’il n’y a pas de bon entendement a priori, cela signifie qu’il ne résulte aucunement d’un certain savoir appris (alphabétisation=scolastique+psittacisme) comme une fin en soi. Il procède en fait de la mise en évidence par le travail critique, déconstructif, de ce dernier. Le ratage qui le fonde, le vide qui le constitue, les deux concrétisés dans et par la fonction signifiante, sont indispensables à son progrès : ils soutiennent son évidement grâce à la négation qui matérialise le défaut de rapport univoquement conjonctif, et évitent que le savoir, pourtant nécessaire, ne se confonde avec la vérité, définitivement définie comme « mi-dite », en écho avec le « ni-ni » (pas-tout) spécifique à la mise en continuité moebienne. Ainsi la partition et l’opposition endogène/exogène, à l’œuvre dans la psychopathologie médico-psychologique, n’a plus rien à voir avec la moebianité qui articule les extensions (S2) avec l’intension S1, selon une temporalité, radicalement différente de celle qui ne retient que la chronologie, selon une perspective génétique, dans laquelle l’avant détermine de manière univoque l’après.

Contre le massacre de la subjectivité, qui fait rage à l’intérieur comme Sà l’extérieur des institutions dites soignantes, il y a à mener un combat contre les conceptions bilatères prédicatives, qui dissimulent leur totalitarisme et leur exclusive à travers une médiocrité conceptuelle, présentée comme signe d’ouverture. Ce combat consiste à les déconstruire pour faire émerger l’unilatère qui renvoie au symbolique en tant que son incomplétude instaure la dimension de l’impossible (réel/rationnel). Les assauts permanents de la médiocrité, charriée par des théories destinées à ensevelir le manque à être sous des prédicats ou des attributs, issus d’un ou de savoirs détenteurs de la vérité, visent à faire échec à la signifiance, dont la préservation et la protection, ne relèvent pas de l’infatuation, mais du respect de l’éthique du discours analytique. Ce passage à l’unilatère, inhérent à la signifiance, est impensable pour ceux qui sont enfermés dans le seul bilatère, qui fait d’eux, sinon des idéologues du moins des affidés de conceptions favorisant l’adhésion et l’adhésivité de masse, d’autant que les savoirs référentiels et les partages de connaissances communes, renforcent les identités imaginaires groupales et corporatistes. Dans un tel contexte, la résistance contre tout évidement ne peut que consolider les réactions thérapeutiques négatives, notamment dans les institutions qui confondent guérison et obturation du vide essentiel à l’existence. Aussi le bon entendement consiste-t-il à montrer que tout ce qui ressortit à la subjectivité et à ses avatars, est inconciliable avec toute notion de maladie mentale, ou autres troubles de la personnalité. Autant d’expressions, mises en avant par de pseudo-savants, dont la mission sociale et politique est l’enfumage, propice à la mise à mort du sujet et au démantèlement du discours analytique. La coupure épistémologique que celui-ci opère en tant qu’il procède d’autres discours dont il dépend, a beaucoup de mal à résister aux assauts de toutes les constructions qui lui vouent une hostilité et une détestation de plus en plus tyranniques : les cures finissent d’ailleurs par s’y adapter en « s’adoucissant », c’est à dire en se réduisant à des sessions de soumission et d’adéquation à des conceptions bafouant et pervertissant l’ordre symbolique, honteusement amalgamé avec l’ordre social, dit « libre » et « démocratique », issu du système d’exploitation capitaliste.

La tyrannie de la médiocrité, liée à l’hégémonie du seul bilatère, ne peut se résoudre à l’unilatère qu’il lui est impossible d’exclure. Face à cet écueil indépassable pour elle, elle enjoint et commande de s’adapter au bilatère qu’elle impose, sous peine de menaces diverses si le choix effectué persiste à privilégier un bilatère incluant l’unilatère en tant qu’il se définit comme son dépassement et qu’il contribue par là même au caractère fictionnel de toute réalité. Si un changement de raison s’accompagne inéluctablement d’un changement de discours (et vice versa), LACAN, dans le séminaire Encore, précise bien qu’ « il y a de l’émergence du discours analytique à chaque franchissement d’un discours à un autre ». Pour lui, « …l’amour, c’est le signe qu’on change de discours ».

Le fantasme, qui explicite le rapport du sujet et de l’objet, sert aussi à mettre au jour que le signifiant comme meurtre de la chose, étaye le discord en tant qu’il articule das Ding (La Chose) et l’avènement irréversible du primat du symbolique, qui rend irréductible le défaut radical de rapport sexuel. Toutes ces dimensions issues de la négation propre à l’inconscient, serviraient à subvertir les institutions soignantes en lieux d’exercice de la « docte ignorance » ou du bon entendement qui revient à rappeler, autant de fois qu’il est nécessaire, la condition de « parlêtre »/ de « la dupe de l’inconscient », afin que la lettre reçue par chacun de das Ding ne soit pas engloutie par les illusions ontologiques que le moi ne cesse d’opposer à la subjectivité, au risque de ne plus savoir où se trouve cette lettre, bel et bien reçue cependant : son esprit plane tout le temps, et on peut aussi la « prendre au pied » ! La parole en témoigne toujours, à condition de lui prêter une bonne oreille, sensible au « discord » et au « troumatisme », qui n’est nullement à entendre comme un malheur ou une tragédie, parce qu’il est porteur d’un défaut incurable !

Amîn HADJ-MOURI

11/01/2016

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