A LIRE: L’héritage politique de la psychanalyse – F. GABARRON-GARCIA

Par Benoit LAURIE

Résumé d’un livre qui vient de paraitre. L’auteur nous propose une rigoureuse critique du monde de la psychanalyse, et la proposition d’un regard enrichi de certaines lectures considérées trop vite oubliées.

 

Si chaque instant de notre existence est marqué par le manque de presque tout, il arrive que nous puissions en désigner quelques caractères.
En voilà un qui me sera apparu comme manquant à notre colloque du mois de novembre dernier (psychothérapie institutionnelle): Florent Gabaron-Garcia.
C’est à l’issue de sa thèse doctorale qu’il s’est trouvé invité à en éditer une bonne partie.
Pour mieux vous convier à la lecture de cette édition, je vous en propose un résumé éclairé.

Florent Gabaron-Garcia (FGG) ouvre son propos sur l’horreur qu’il a éprouvé en assistant à ces présentations de malades que certains dits « analystes » n’éprouvent toujours pas de honte à mettre en oeuvre. Que dis-je? Plus qu’une honte, apparaissent-elles comme un désaveu pour ceux qui osent à se nommer psychanalyste.
A le lire, il apparait nettement que Florent Gabaron-Garcia n’oserait pas se laisser aller à de tels écueils. Au contraire, nous rappelle-t-il la précaution que requiert la pratique  auprès des dits malades… Que chacun se décale de la place qui lui aurait été assigné (de psy-chose, comme dirait Amîn Hadj-Mouri) afin de mieux en aider le dit fou ou le dit agité (je pense aux enfants taxés de TDAH/hyperactivité ) à s’en décaler lui-même.

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Florent Gabaron-Garcia se lance aussi dans une critique des critique du fameux « Anti-Oedipe » de Deleuze et Guattari dont il rappelle qu’elles tendent à rejeter l’ouvrage dans la catégorie « philosophie » ne privilégiant plus souvent que le nom de Deleuze (philosophe) au détriment de celui de Guattari (psychanalyste)… L’Anti-Oedipe ne serait pas tant vulgarisateur d’une psychanalyse dont les auteurs auraient arrêté leur lecture au Freud d’avant l’élaboration précisée du concept de l’inconscient…
L’auteur nous rappelle que le fameux ouvrage n’aura pas été nommé « L’anti-psychanalyse ».
Aussi nous rappelle-t-il à la lecture d’un Lacan particulièrement critique vis-à-vis des références à la mythologie oedipienne, et particulièrement prudent quant à l’usage qui pourrait être fait de son concept de forclusion.
Je vous invite à lire les précision de Florent Gabaron-Garcia sur des lectures de l’Anti-Oedipe qui semblent n’avoir été, le plus souvent, que trop réductrices voire vulgarisatrices: passant à côté de précisions techniques riches d’enseignement pour les psychanalystes… On en finit par vouloir se plonger dans la lecture de Deleuze et Guattari.

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Florent Gabaron-Garcia redonne toutes ses lettres de noblesse à Guattari, analysant de l’école, compagnon des premières heures de l’école freudienne, directeur d’une revue (Recherches) qui invitera: Sartre, Foucault, Genet, etc. Co-constructeur de La Borde, et défenseur d’une psychanalyse laïque: sans médecin-père…
Pour FGG, de nombreux acteurs actuels de la psychanalyse ont refoulé une partie de son histoire: Celle de l’entre-deux guerre et celle de l’après-guerre. Il y inclût la révolution portée par la psychothérapie institutionnelle. Ce refoulement, nous dit-il, n’est pas sans lien avec ces guerres entre associations de psychanalystes ( psychanalystes qu’il nomme régulièrement: « docteurs lacaniens ») et à leur fâcheuse tendance à ne pas réagir au contexte politique et au malaise social d’aujourd’hui… Sauf à collaborer avec l’État pour mieux sen faire tamponner.
Finalement ce sont bien des psychanalystes venus à la suite de Freud puis de Lacan dont le discours et les effets de prestance se voient ici démontés. L’auteur s’attaque à certains des présupposés les plus répandus (des préjugés, en somme) tels celui du « primat du symbolique ». Rien qu’avec ce das Ding auquel nous rappelait Lacan, cette conviction ne devrait pouvoir tenir puisque le symbolique lui-même ne saurait tenir sans imaginaire ni réel… Ce réel incarné dans cet objet a qui tient fonction récursive de se référer à la Chose. C’est aussi la Chose « en tant qu’aucun signifiant ne peut la représenter » qui indique la dimension du réel.
C’est finalement un désir qualifié de réel que FGG se plait à lire chez Deleuze et Guattari, considérant l’inévitable impact que cela aurait dans le traitement des psychoses, vue  » l’impersonnalité essentielle du processus qui nous fait ». J’y lis, pour ma part, la considération de la fonction récursive à laquelle René Lew nous appelle régulièrement.
FGG considère que cette considération du réel de l’inconscient participe à se départir du schéma œdipien de l’inconscient, y compris de la « théorie du phallus » qui s’y rattache… « En ce sens, on peut dire que l’échec du symbolique, c’est l’échec du psychanalyste, ou encore que la véritable question préliminaire au traitement des psychoses, c’est la question schizoanalytique » (vocable de Deleuze et Guattari).
Finalement c’est à une certaine lutte contre l’exclusion du fou (que suppose sa dénomination-même) à laquelle FGG adhère, reprenant à son compte l’argument deleuzien et guattarien selon lequel l’oedipe a trop souvent servi de référence normative. N’a-t-on pas trop entendu ce crédo, dans nos institutions: « il n’a pas encore dépassé son complexe d’Œdipe  » ou autre du même ton. Ici, il est davantage question de la forclusion et de l’exclusion qu’elle justifie à bien des égards dans la bouche de nombreux experts psycho en tout genre.
Le psychotique apparaissant alors comme celui qui a manqué quelque chose.

Je me suis étonné devant René Lew lorsqu’il dit que la forclusion participait de la structuration de chaque sujet (cf. Cfce lille janvier 2018 – [audio ici])… De fait, la schize constitutive du sujet nécessairement divisé (dixit Lacan) en est un rappel évident. Cela ne va pas sans nous mettre en garde contre la débile logique psychotique qui cesse parfois de se faire oublier en nous et nous rend complice de toute forme de psychose sociale (clivage: ou bon ou mauvais) Quelle psychose est-elle plus dangereuse pour le sujet finalement ? Celle de son délire comme tentative de guérison ou celle de l’aliénation sociale comme tentative d’épuration?

Au-delà de la question de la psychose c’est bel et bien celle du réel que finit par poser FGG dans un chapitre intitulé: « Comment se fait un corps? ». Il semble redonner à ce réel toute sa place, eût égard à la prévalence de l’instance du symbolique dans le discours de nombreux théoriciens de la « psychanalyse ». Pour ce, il se réfère au Lacan des dernières années qui introduit notamment le concept de la lalangue

Je resterais, pour ma part, assez réservé sur idéalisation de certains des concepts issus de l’Anti-Œdipe tels celui de flux qui traverseraient le sujet comme ils traverseraient les sociétés au-delà des cadres habituels: géographiques, historiques, etc. Il y a matière à douter de ces concepts qui versent trop dans l’abstraction. Ce qu’on aura pu reprocher à Freud lui-même (notamment pour ce qui est de certaines de ses premières descriptions de la pulsion qui auront fait mouche chez les mystificateur d’une énergie magique fort d’un certain nihilisme). C’est cette abstraction même contre laquelle Politzer mettaient en garde les psychanalystes, pointant là un retour à une psychologie empiriste, fruit de constructions imaginaires empreintes aux sciences physiques ou biologiques.
C’est certainement contre ce type d’abstraction que Lacan, et Freud avant lui, souligne l’incidence du réel sur l’existence psychique… Ce que le concept de pulsion finit par porter mieux qu’aucun autre concept… Encore faut-il le définir au plus juste. C’est la considération du corps par lequel s’anime l’existence qui en est elle-même issue, que devrait signifier, en premier, l’instance du Réel, pour la cure psychanalytique.

Que dire encore de cette idéalisation de l’Anti-Œdipe sinon qu’un doute concernant la conception anti-œdipienne elle-même? Pourquoi faudrait-il tant que la structure qu’aura permis de mettre en avant le complexe d’Œdipe soit exclusive de la psychose? Cela revient à nier la dialectique que suppose la considération du Nom-du-Père, comme pendant à la fonction récursive (en intension). Cette dialectique se constitue d’un « Je ne va pas sans l’Autre« , aussi bien que le narcissisme (en intension) ne se déploie pas (en extension) sans la fonction paternelle.

FGG nous offre au moins le bénéfice de mettre en doute cette référence récurrente au complexe d’Œdipe là où nous avons aujourd’hui d’autres vocables pour désigner l’aliénation du sujet (l’aliénation du Je à l’Autre). Mais pourquoi, comme il aime à le soutenir, cela devrait-il nous départir d’une logique structuraliste qu’il semble lui-même défendre par ailleurs lorsqu’il nous rappelle à la condition commune que suppose l’inconscient (alors désigné préférentiellement Réel, plutôt que rebut du primat œdipien)?
De la même façon, pouvons-nous douter de l’obstacle à l’accueil du discours du psychotique, que supposerait l’approche structuraliste.

Il semble que cette critique de l’œdipe freudien tombe dans les mêmes travers que ceux qu’elle vise. Le père réel semble confondu avec la fonction paternelle. Quant à la forclusion, elle apparait juste comme le résultat d’une rencontre ratée d’avec le père réel.
Le père, en tant que fonction ne saurait renvoyé uniquement à l’ordre symbolique comme semble le lire FGG. Il est bel et bien tenant du nouage RSI.

Finalement ce qui importe certainement le plus dans cette défense de l’anti-Œdipe (concrètement: de se passer de cette référence au complexe d’Œdipe, comme incontournable) est la mise en garde proposée à l’analyste. Une mise en garde contre une référence normée dont le risque est de « réifier » le sujet derrière le discours que l’on interprèterait sous cet angle premier. Une mise en garde d’autant plus pertinente qu’elle est associée au rappel de la fonction de l’analyste qui est celle de subvertir des discours emprunts de l’aliénation sociale (on lit l’exemple d’une cure en CMPP avec une enfant taxée de TDAH/hyperactivité).

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Finalement quel intérêt que la lecture d’un ouvrage s’inscrivant dans l’élaboration continue de la psychanalyse (qu’un Freud ou un Lacan appelaient de leurs vœux)?
A lire FGG, comme à entendre certaines conférences d’auteurs suffisamment rigoureux pour ce faire, ma pratique de la psychanalyse s’en trouve ranimée. Rien de mystérieux là-dedans. Il s’agit d’un après-coup de l’ordre du « plus-de-jouir ».
Qu’est-ce à dire?
De ne pas rester assis dans le confort de présupposés bien entendus du bon discours et du bon acte que devraient être ceux du psychanalyste idéal, l’analyste produit lui-même de quoi raviver le feu qui anime l’existence du Sujet. Rappelons-le: Il n’y pas de l’Un sans l’Autre; cet Autre que l’analyste représente en sa position particulière. Comment soutenir l’évolution du discours de l’analysant si ce n’est qu’en secouant ses bien entendus afin que soit enfin reconnus ce qu’ils contiennent de malentendus? Et comment soutenir cela si ce n’est qu’en déconstruisant sans cesse son propre savoir: Tant du côté de l’analyste que de celui de l’analysant.
FGG a le mérite d’autoriser une telle production (en plus) du fait même des dé-constructions du savoir (partagé par les psychanalystes) qu’il propose. Ce que Lacan soutenait, notamment avec « la passe« , est cela-même: L’exposé d’une dé-construction de certains savoirs bien entendus par la mise en jeu des productions singulières.
FGG s’y risque ne serait-ce qu’exposant davantage ses réponses au discours de certains de ses analysants que l’interprétation qu’il aura pu faire de ceux-ci.
C’est bel et bien la mise au débat de notre propre position parmi nos partenaires de travail qui autorise une progression de celle-à, c’est-à-dire: un déplacement de notre position face à ce qu’appelle le discours symptomatique de chaque analysant afin de mieux le subvertir.

 

Benoit LAURIE (29 mars 2018)

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L’ouvrage: Florent GABARRON-GARCIA, L’HERITAGE POLITIQUE DE LA PSYCHANALYSE, pour une clinique du réel. Editions La Lenteur – 2018 (Paris)

 

 

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