« La haine de l’autre » et « la pensée décoloniale »

A l’initiative de la Lysimaque, une rencontre aura lieu le 08 décembre à Paris à l’ITP, Boulevard Arago.
Elle aura pour but de débattre et d’échanger autour des textes :  » le manifeste des 80  » publié dans Le Monde et la réaction qu’il a suscitée, publiée dans Libé.
Afin de lancer ce débat, je propose deux textes qui ont déjà été diffusés par René LEW.                                                   
  Amîn HADJ-MOURI

      

LA  HAINE DE L’AUTRE (le semblable) N’EST EN DERNIERE  

INSTANCE QUE  LA HAINE DE CETTE ALTERITE,

                      QUI RAPPELLE L’AMOUR AU RATAGE .

 

 

 

Quelques jours après que le Président de la République eût agité de nouveau, comme il se doit, « le chiffon rouge » que représentent les migrations, mon attention fut attirée par la déclaration de 80 analystes, publiée par le Monde dans son édition du 26/09/19.

La profession de foi, émanant d’éminences des idéologies psychanalytiques, flanquées de leurs habituels auxiliaires et dociles béni-oui-oui, visait le « Parti des indigènes de la République », et notamment sa porte-parole Houria BOUTELDJA, auteure d’un ouvrage, publié en 2016 et intitulé : « Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire » (Ed. La Fabrique).

Ma première interrogation fut : pourquoi attendre si longtemps pour prendre position contre les arguments de cette universitaire, qui, enlisée dans une conception ontologique, forcément totalitaire, ne peut que développer des théses réifiantes et, in fine, réactionnaires ? D’autre part, je m‘attendais à ce que des « serviteurs » du discours analytique nous offrissent des arguments autrement plus pertinents que ceux dont la doxa, au service de l’idéologie dominante, nous abreuve à longueur de journée. Autrement dit, en quoi les arguments de ces « experts » de l’inconscient nous permettent-ils de renouveler les questionnements ayant trait à ce qu’ils appellent le « communautarisme », « l’identitarisme », si eux-mêmes ne parviennent pas à se départir de la chappe idéologique et ontologique, qui obère leurs thèses, en apparence opposées à celles de la représentante du « Parti des indigènes de la République ».

En faisant main basse sur le discours analytique et en prétendant l’incarner, ce chœur d’experts asservit ce dernier, et le livre à l’idéologie crypto-néo-libérale, qui fait le lit du fascisme, et prépare implicitement son triomphe, tout en ne cessant pas de grossir les rangs des « pleureuses », associées aux tenants de la  « belle âme », repus d’humanisme, d’universalisme et d’individualisme, référés aux Lumières.  Malgré quelque éclairage, apporté par celles-ci à certaines problématiques, il est possible d’affirmer sans ambages qu’elles ont, elles aussi, participé à l’enténèbrement de nombreux pans de l’Histoire. Ainsi, elles ont contribué à la psychologisation  de dimensions socio-économiques et politiques, afin de mieux refouler –au nom de la raison- les raisons, qui ont conduit des sociétés « civilisées » à subjuguer et à avilir des peuples qui ne leur demandaient pas tant. Et ce n’est certainement pas les « ratatouilles » psychologiques autour des fameux « traumatismes » liés au colonialisme, et « empêchant la transmission » (je cite le manifeste) (de je ne sais quoi ? c’est moi qui pose la question), qui  aideront à accéder à l’intelligence de situations socio-historiques, caractérisées par un nouage complexe entre des impératifs économiques, d’exploitation des hommes et des richesses, et les facteurs qui procèdent de la subjectivité en tant qu’elle est fondamentalement distincte de l‘individualité.

Ce n’est certainement pas avec ce genre de verbiage philosophico-psychologique, qu’on gagnera en intelligence. Ainsi, il est écrit qu’ « une idéologie (terme à préciser) qui nie ce qui fait la singularité de l’individu (qu’est-ce à dire ?) nie les processus toujours singuliers   (quels sont-ils ?) de subjectivation (à définir précisément par rapport à l’hominisation) pour rabattre la question de l’identité sur une affaire de déterminisme culturel et social ». Cette critique, adressée par ces « quatre-vingts » pontes, peut concerner le discours de la sociologie universitaire ! Encore faut-il, si elle s’appuie sur le discours analytique, qu’elle mette bien en évidence la teneur épistémologique des concepts analytiques, dont la rigueur heuristique, n’a rien à voir avec les notions de la psychologie, fût-elle sociale ou bien celle « des profondeurs ».

Une des questions qui aurait mérité d’être posée, est  celle qui concerne l’articulation du déterminisme social avec la « causalité psychique », et ses liens avec la dépendance du symbolique, qui engendre une incomplétude radicale et irréductible : la « béance causale », comme assise du sujet. En proposant à la réflexion ce genre de problématiques, il devient possible de subvertir le genre d’errements idéologiques, qu’imposent les quêtes ontologiques, menées  par des adeptes de l’unité de la personne et de l’individu, conçus comme des entités absolues. Si la psychanalyse représente une coupure radicale sur le plan épistémologique, c’est parce que le sujet qu’elle promeut, est fondamentalement différent de l’individu : elle bat en brèche l’unité illusoire, dont l’incessante convoitise, finit par mettre au jour une dimension essentielle : celle d’une altérité constitutive et indépassable, fondatrice de l’inconscient. Aussi est-ce primordial de distinguer l’altérité (imaginaire) du semblable, de l’altérité essentielle, constitutive de la subjectivité, d’autant plus qu’elle est projetée sur l’autre, coupable d’empêcher l’accès à son propre être, tous ceux et toutes celles qui combattent le « manque à être ».  Cet insupportable défaut  ontologique est désormais imputable à des boucs émissaires tout désignés, tant ils sont étrangers à cette quête, qui caractérise et réunit les « civilisés (es) ».

L’amour total voué à soi-même, se voit entravé par un autre, auquel on attribue une toute-puissance, qui ne peut engendrer qu’une haine féroce, considérée comme légitime face à ce qui est vécu comme une injustice, à savoir l‘irrémédiable « manque à être ». Cette erreur logique fondamentale nourrit la confusion entre ce qui ressortit à la structure subjective et ce qui procède de l’Histoire en tant qu’elle refoule cette dernière, en ne lui accordant au mieux qu’une place congrüe, dans l’éclairage postérieur d’événements qui ont  déjà eu lieu. On aurait pu attendre de la part des quatre-vingts éminences de la psychanalyse, un éclairage plus conséquent de leur affirmation : « la lutte des classes est devenue une lutte des races ». Au-delà du slogan, il eût été fort intéressant de spécifier l’une et l’autre, ainsi que leurs articulations possibles. C’est par ce type de travail que le discours analytique se libère, à mon avis de toute gangue idéologique, et peut alors déconstruire des conceptions ontologiques, qui n’ont de cesse de démentir la condition d’être parlant, conférée par l’assujettissement au symbolique, que n’élimine en aucune façon le recours à quelque artifice imaginaire que ce soit. Les « entourloupes » et les enfumages imaginaires comme ceux qui nous sont proposés, finissent eux-mêmes par montrer leurs limites, en confirmant par là même que le réel est la présentification de ce qui échappe inexorablement.

 C’est à mon avis ce que la position hystérique de Houria BOUTELDJA ne lui permet pas d’atteindre, d’autant plus qu’elle lui rapporte quelques « bénéfices secondaires » sur le plan narcissique. Elle pense promouvoir et développer une thèse hérétique, alors qu’elle s’inscrit dans un discours ontologique rétrograde, dont la logique est identique à celle qu’elle croit combattre et détruire, au sens où à aucun moment il n’y a  place pour le sujet, ainsi que je l’ai défini plus haut. La complicité implicite des théories ontologiques, aussi opposées soient-elles en apparence, porte sur l’exclusion de la dépendance de l’ordre symbolique, fondatrice du sujet. Cette exclusion n’épargne pas non plus certaines conceptions pseudo-analytiques. Pis, elle devient le signe d’un « progressisme sociétal », prônant la liberté individuelle et ses dérives paranoïaques, renforcatrices de l’aliénation sociale, qui tend à « naturaliser » les conditions d’exploitation des corps, pour en extraire de plus en plus la plus-value, élevée à cette dignité suprême : celle d’être identifiée au moyen idéal d’accès à la jouissance phallique. Tous ceux et toutes celles qui croient avoir atteint leur  accomplissement ontologique, s’identifient à des héros. Provocateurs, à l’occasion, ces derniers, qui bafouent l’ordre symbolique, se font passer pour  des modèles de réussite sociale, attirants et pouvant en même temps susciter une haine morbide.

Faute de disposer d’outils et d’instruments conceptuels adéquats permettant de saisir les enjeux sociaux et subjectifs de telles situations, les réactions agressives, voire les passages à l‘acte criminels peuvent s’enclencher.

Considérer, à l’image de ces quatre-vingts « maîtres », la psychanalyse comme un  « humanisme et un universalisme », revient à l‘intégrer dans l‘idéologie dominante, au sein de laquelle la mondialisation néo-libérale occupe une place de choix, à partir de laquelle elle donne cours à la soft-barbarie, « à visage humain », qu’elle initie partout sur la planète.

Comment concilier la subjectivité au sens freudien et lacanien avec l’humanisme ? Comment concilier l’universalisme béat de la mondialisation capitaliste avec la singularité, qui implique l’inconscient et toutes ses dimensions ?

Recourir au discours analytique dans le contexte idéologique et politique, choisi par le « Manifeste », traduit en vérité une imposture, une trahison et une abdication face à un ordre social, qui ne cesse pas -quotidiennement- de compromettre la place de la parole et celle du sujet.

Toute thèse dite « identitariste », est réverbérée en miroir, et partagée par des idéologues, dont la quête d’unité et de totalité ontologiques, les amène droit au fascisme en tant qu’il représente l’acmé de la « psychose sociale ». Aussi la référence au discours analytique devient-elle pertinente, si la logique inédite du discours analytique est mise en valeur, pour mieux mettre en lumière la misère intellectuelle et l’ arriération dialectique, consécutives au déni de l’ assujettissement au signifiant, qui  rappelle et ramène à la condition de sujet, c’est à dire celle du « manque à être », dont les dénonciations les plus agressives, et les imputations les plus ineptes, désignant des boucs émissaires de tous genres, ne viendront jamais à bout.

Cette misère intellectuelle, issue du rejet de la subjectivité et de toutes ses conséquences, est à mettre constamment en exergue, grâce aux concepts de la psychanalyse, laquelle n’a rien à partager avec les idéologies humanistes et universalistes, dont le souci principal et capital, consiste à tenter de « forclore » l’inconscient, au profit de la « psychose sociale », hissée au rang de forme d’adaptation idéale aux règles mafieuses de la mondialisation néo-libérale et fascisante. Ce n’est d’ailleurs pas parce que le « temps des colonies » est terminé,  et que les indépendances ont eu lieu, que le colonialisme a cessé et disparu. Il faut vraiment être bien adapté à la »psychose sociale » pour ne pas entrevoir ici ou là des pratiques néo-coloniales, encore plus perverses que jadis, notamment avec le concours actif de pouvoirs autochtones, tyranniques et fantoches, à la solde de puissances dites démocratiques. Elles n’hésitent d’ailleurs pas à traiter avec des régimes corrompus, tout en mettant en avant leur générosité auprès de peuples humiliés et avilis.  Elles pleurent toutes leurs « larmes de crocodile » pour s’assurer une virginité politique, lorsque des méfaits et des crimes- parfois prévisibles- se produisent. La morale, fabriquée alors par des idéologues, vient à point nommé pour faire oublier les manquements et les transgressions des « valeurs », censées faire partie intégrante de la démocratie dite libérale. Elle devient le socle identificatoire de nombreux rhéteurs, d’ aliénistes émérites, c’est à dire des idéologues, qui produisent des théories, dont la finalité consiste à l’exonérer de tous ses manquements. Reconnus comme ses laudateurs, ils la célèbrent en retour et la consacrent, en lui adjoignant toutes sortes d’ajuvants « humanistes », parmi lesquels ils « casent » le discours analytique, dont la logique spécifique est pourtant radicalement incompatible et inconciliable avec leurs élucubrations. En témoigne le déferlement de « platitudes », qui renforcent l’hégémonie de telles idéologies ontologiques, fomentées par des « mentors », prétendant libérer la conscience de ce qui l‘altère, à savoir l’inconscient qui, comme « discours de l’Autre », lui est nécessaire. L’inconscient impose à jamais le sujet à l‘individu, malgré les multiples tentatives de ce dernier, pour méconnaître son ancrage définitif dans le symbolique.

Faire de la béance, le soutien essentiel de la subjectivité et de l’identité en tant qu’elle articule le moi (l’individu) avec le sujet, selon le principe logique de « l’un pas sans l’autre », est le pari de la psychanalyse. Défendre cette logique consiste à faire valoir un défaut constitutif, nécessaire à l‘existence de chacun et de tous. Ce défaut ou « manque à être » , en raison de son essentialité, est réfractaire à toute surenchère idéologique, quels que soient par ailleurs les attributs et autres prédicats appelés à la rescousse : « raciaux », ethniques, ethno-confessionnels…. Ils ne prennent de l’importance que si certaines théories leur offrent une place de choix pour mieux discréditer et  dévaloriser la subjectivité, comme le « Choc des civilisations » de Samuel HUNTINGTON ou  la « Théorie du grand remplacement » de Renaud CAMUS, et d’autres encore. Les inepties ontologiques, destinées à nier l’inconscient, en tant qu’il articule de façon moebienne la communauté et la singularité, dans une « unarité » inédite, finissent par se coaliser,  par se rassembler et se ressembler quant à leur fondement logique et théorique, même si elles paraissent s’opposer, plus ou moins farouchement.

La haine de l’Autre, de l’inconscient, qu’elles véhiculent, devient la source de la haine de tout autre, sur lequel est déplacé cet affect. Il devient l’expression et la manifestation d’une atteinte et d’une violente amputation ontologiques. Eliminer alors l’autre équivaut à éliminer cet Autre, constitutif de la subjectivité. Vouloir la mort de l’autre, c’est vouloir achever l’Autre, sans lequel ni le moi, ni le sujet ne sauraient exister, indépendamment l’un de l’autre.

Opposer le discours analytique à des conceptions idéologiques de type ontologique, sans tenir compte que ce dernier a définitivement rompu avec toute ontologie, est une imposture intellectuelle, qui engendre de graves conséquences quant à l‘éthique de la psychanalyse. Il est inutile de  « prendre en otage » celle-ci, pour cautionner et justifier des prises de positions idéologiques, exclusives  in fine de l’inconscient et de l’altérité qu’il détermine, malgré ce qu’elles peuvent prétendre, en exposant slogans et  poncifs, qui visent à dénier leur fondement signifiant.

A un « identitarisme » fondamentalement erroné, représenté par des conceptions qui proposent une identité-toute, éradicatrice de son «manque à être » fondateur, et récusent la finitude de la structure subjective, peuvent s’adjoindre des représentant(e)s de la dégradation du discours analytique en idéologies ontologiques. Instigateurs(trices) d’imitations simiesques, ils (elles) font main basse sur les concepts analytiques, les exploitent pour les mettre au service d’un « métalangage », dont ils (elles) se croient maîtres. Ainsi, ils (elles) font miroiter à ceux  et à celles qui cherchent à  conquérir leur « être », qu’ils (elles) détiennent les moyens de leur assurer le meilleur qui soit sur le marché.

                                                                                             Amîn HADJ-MOURI

                                                                                                       07/10/19

 

 

 

 

 

         LES HERAUTS ET LES « SURDOUES » DU BILATERE ET DE LA RAISON

        CLASSIQUE SE REFUSENT  DE  « PENSER A CÔTE » DE LA DOXA, DE

                   CRAINTE DE SE HEURTER A LA BÉANCE QUI LES CAUSE,

                   EN LES AMPUTANT DEFINITIVEMENT DE LEUR ETRE.

 

 

 

 

En réaction au méprisable « Manifeste des 80 », d’autres représentants de la doxa psychanalytique, associés à d’autres intellectuels(les), issus(es) de différentes disciplines, se sont élevés pour contrer les thèses des ardents défenseurs  de « l’humanisme et de l’universalisme » de la psychanalyse. Je m’attendais, de la part des partisans de la « pensée décoloniale » à un texte (cf Libération du 03/10/19) faisant preuve d’une élaboration plus sérieuse, dont la teneur théorique fût digne de la richesse épistémologique du discours analytique,  et de la fécondité de son éthique. Or, ils nous ont gratifiés d’un étalage d’arguments psycho-sociaux, prônant un empirisme mâtiné de pragmatisme (je cite : « la clinique psychanalytique offre à ceux qui la pratiquent, analysant .e.s la possibilité de construire ensemble  un champ de coexistence et de conflictualité où les manières toujours singulières de s’expérimenter soi-même comme désirant, dans le plaisir et la souffrance s’entre-affectent ») Outre le recours répété au vocable « expérience », qui figure à d’autres endroits du texte, c’est le caractère amphigourique de ce genre d’énoncés, qui met au jour le piètre niveau de la réflexion et de l’élaboration psychanalytiques contemporaines. La persistance de l’intersubjectivité béate, qui se réfère plus à la psychologie qu’à la logique de l’inconscient, empêche l’accès à l‘articulation dialectique qui noue l’hétérogénéité à l’homogénéité, laquelle homogénéité, n’est plus synonyme dès lors d’uniformité, et encore moins d’univocité. Et ce ne sont pas de tels amphigouris, ni des slogans lancés à l’emporte-pièce, qui mettront un terme au dogmatisme et au verbiage pseudoanalytique, mais bien le soutien inflexible de cette logique spécifique, ne mettant jamais en jeu « une (dimension) sans l’autre », qui pourront en finir avec ces dévoiements, lesquels font barrage à cette dialectique inédite, promue et soutenue par l’inconscient.

 

Un progressisme, digne de ce nom, ne se réduit pas simplement à s’opposer à des positions manifestement réactionnaires, qui plus est, n’hésitent pas à « faire main basse » sur les concepts analytiques, pour les abâtardir en les soumettant et en les adaptants aux schèmes de l’idéologie dominante. Il requiert une tâche autrement plus exigeante, surtout s’il ose rester fidèle à l’épistémologie freudienne et lacanienne.

S’engager dans ce qui semble relever de positions apparemment progressistes, comme celles qui sont exposées dans ce texte,  revient en définitive à s’enliser dans les mêmes travers, dénoncés chez les minables « 80 » et leurs affidé(e)s, qui eux non plus ne veulent rien savoir de la dépendance du symbolique, fondatrice du sujet (de l’inconscient), laquelle n’a absolument rien à voir avec la subjectivation de type psychologique et ses « miasmes » identitaires. En effet, c’est bien l’ordre symbolique, auquel est soumis tout être parlant, qui  assure l’articulation entre la séparation et l’homogénéisation, soutenue précisément par le partage –chez tous les êtres parlants- de la négation, mise en œuvre par « l’in-conscient » en tant qu’il renvoie à une altérité intrinsèque, inhérente à l’aliénation symbolique. Aussi, rappeler sans cesse la dialectique, initiée par l’inconscient, qui lui confère sa spécificité moebienne, grâce à la mise en valeur du vide que le « manque à être » n’arrête pas de mettre au jour, ne ressortit à aucun dogmatisme. Il implique une cohérence certaine et une rigueur théorique solide, qui ne souffrent aucune compromission avec quelque idéologie que ce soit, dont la fonction sociale et politique consiste à refouler le mieux possible toute référence à l’ordre symbolique, en laissant accroire que cette « libération » est une ouverture, alors qu’elle vise au contraire, à entraver et à fermer l’accès à la logique de l’inconscient, excluant par là-même in fine, le discours analytique.

 

Ces « psychanalystes », érigés en mentors, spécialistes en conversions idéologiques diverses, n’ont de cesse de disqualifier le sujet, pour faire valoir, à l’image de ceux à qui ils s‘opposent, des conceptions ontologiques, exclusives de l’inconscient, à la grande satisfaction des multiples tenants de «la psychose sociale », adversaires résolus de toute référence à la logique moebienne, qui caractérise l’inconscient, au sens freudien, ainsi que LACAN a pu le formaliser, pour mieux souligner « l’instance de la lettre », et  permettre ainsi la mise à distance de « l’illettrisme » idéologique, qui n’hésite pas à traîner dans la boue le discours analytique en tant qu’il s’oppose de façon implacable et inflexible à la « psychose sociale », alliée du capitalisme, sous ses formes les plus barbares, dont l’islamisme est une figure (les massacres de G.W.BUSH en Irak n’ont « rien à envier » à ceux de DAECH !), appelée à l’accompagner encore, pour l’aider à maintenir son hégémonie sur la planète.

La valeur subversive du discours analytique procède de l’articulation qui lie le « parêtre » (LACAN), comme substitut et compensation ontologiques, au « manque à être », honni par toutes les conceptions idéologiques qui refusent de prendre en compte et d’intégrer le caractère éminemment opératoire du vide, issu de la « mort définitive » de l’être et de tous ses avatars, qui font miroiter toutes les inepties identitaires, promettant une réappropriation de soi, que certains mal intentionnés, voire sadiques auraient les moyens d’empêcher. Lorsque les multiples modes de « parêtre » refoulent le « manque à être », partagé par tous les êtres parlants, et font croire que l’un d’eux est le meilleur pour venir à bout et triompher de ce derniers, alors la ségrégation avec tous ses effets mortifères fait rage !

Ce « parêtre » (être à côté :para-être), procède du « manque à être » : il le fonde, le concrétise et lui assigne son caractère « motifère »* ( le mot comme meurtre de la chose »), tout en contribuant à son refoulement. Il permet la mise en évidence de ce « manque à être », malgré sa participation aux prouesses identitaires imaginaires, qui visent à museler, en vain la division subjective, due à l’inconscient. Celle-ci est structurale au sens  où aucune communauté, aucune nation, quels que soient ses pouvoirs et sa puissance, n’est capable de la  suturer, sous peine de mettre en danger ou de mettre à mort le sujet, qui cohabite avec le moi de tout individu, non sans des tiraillements qui font appel à maintes illusions pour croire qu’il est possible de venir à bout de la structure. D’ailleurs, les vicissitudes de l’amour sont bien là pour dévoiler cette impossibilité radicale de se libérer de cette dernière, sauf par le biais de la mort, devenue libératrice de la structure subjective (plutôt la mort que le « manque à être » !) dont l’omniprésence ou « l’éternité » met en œuvre une temporalité, qui transcende la chronologie, et impose une présence constante de ce qui n’est plus, et qui se manifeste par des effets concrets, traduisant sa disparition irréversible et irrévocable. L’impossible devient la source de tous les possibles, qu’aucun d’eux  ne parvient à museler ni à abolir.

 

Ainsi, si le discours analytique est à la fois subversif et autrement progressiste, c’est  parce qu’il rompt avec les conceptions qui se livrent bataille pour imposer leurs théories bilatères, prétendues meilleures parce qu’elles font appel à une plus grande érudition que d’autres, dont le caractère bilatère, qu’elles partagent cependant ensemble, est plus archaïque. Mais aucune d’elles, même si elles s’opposent et sont antinomiques entre elles, ne libère l’accès à l’unilatère, qui permet de subvertir les unes et les autres, en les rapportant à leur fondement signifiant. Elles contribuent activement à l’installation de la « psychose sociale » par leur rejet de l’unilatère et leur tendance à forclore le réel, qui leur échappe de toute façon, et qui, à ce titre reste opérant, malgré l’ostracisme dans lequel elles le confinent. Il finit toujours par les mettre en échec. Mais quand les théories bilatères, constitutives des idéologies, rencontrent et se heurtent à un obstacle impliquant l’unilatère, c’est à dire la détermination signifiante, la réaction immédiate consiste à faire appel à des suppléances bilatères, encore plus puissantes, pour détourner et obturer plus efficacement leur fondement signifiant, qui les met en présence avec l’incomplétude du symbolique, irrécusable, même si elles ne veulent rien en savoir.

Pourfendre les positions des « 80 » en critiquant leur mésusage pervers du discours analytique,  exige de la part de ceux et celles qui ont, à juste titre dénoncé ces dérives, une présentation  plus digne de ce dernier en tant qu’il est susceptible, grâce à sa logique spécifique, de subvertir et d’enrichir en même temps, ladite « pensée décoloniale ». Elle non plus n’est pas « naturellement » propice à la mise en évidence de la dépendance du symbolique et de toutes ses conséquences. Ainsi, il s’agit de dépasser la simple prise de position idéologique et politique, comme il s’agit de ne plus se contenter de prendre parti pour une conception quelle qu’elle soit, sans l’évider en faisant valoir l’inconscient, c’est à dire en rappelant notamment toutes les dimensions qu’il implique et qu’elle tait, lesquelles sont nouées et articulées par un vide (béance), d’autant plus décrié qu’il est politiquement incorrect. En effet, il fait échec à toutes les conceptions dogmatiquement bilatères, qui prétendent le colmater et le suturer, d’abord au profit des proches. Quant au « prochain », il attendra : il lui faudra faire ses preuves de bonne intégration, voire d’assimilation pour bénéficier du « bouchon obturateur», en vérité néfaste pour la subjectivité, et partant pour la singularité en tant qu’elle représente la manifestation particulière d’une dépendance à laquelle aucun être parlant n’échappe (castration symbolique), même s’il fait le choix extrême de se remparder dans  un autisme, qui vise à détruire la « béance causale », fondatrice du sujet.

Enfin, respecter la « pensée décoloniale », revient à la consolider grâce à l’éclairage du colonialisme apporté par le discours analytique,  à travers ses concepts, dont la pertinence logique et la richesse heuristique, ne servent pas à la disqualifier, mais à approfondir le caractère subversif de la subjectivité par rapport notamment à la citoyenneté et à ses nouvelles définitions, qui peuvent libérer des scléroses ontologiques, véhiculées par la doxa et l’idéologie dominante. Ainsi, l’inconscient doit prendre toute sa part dans le débat démocratique, qui gagne indubitablement en intérêt dès lors que la parole et le sujet sont reconnus à leur juste place, sans les surestimer ni les sous estimer.

 

 

Amîn HADJ-MOURI

                                                                                               29/10/19

 

* « motifère » : terme que je retiens et qui résulte d’un lapsus calami (repéré par René Lew, à la lecture de mon texte), qui a affecté le vocable « mortifère ». L’absence de la lettre « r » a engendré ce terme néologique, qui peut signifier la production de mots.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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