Hirak (mouvement) et subjectivité

A l’occasion de la reprise du mouvement de masse (Hirak) qui proteste et conteste le pouvoir politique et exécutif en Algérie, et après sa suspension à cause de la pandémie, je présente ici un écrit – quelque peu remanié – que j’ai rédigé à l’adresse d’un ami algérois.

Cher Farid,

POUR QUE LE « HIRAK » NE BRÛLE PAS, IL FAUT BIEN (SE REMUER POUR) LE REMUER OU LE TOUILLER !

(jeux de mots autour des lettres : H,R,K/G).

J’ai lu les extraits des contributions des deux universitaires Malika DIRECHE (historienne) et Amel BOUBEKEUR(sociologue), publiées par Mediapart. Je trouve que ces « resucées » des thèses dominantes, produites par des « piliers » de l’institution universitaire française -de plus en plus décadente par ailleurs- comme Jean-Pierre FILIU, entre autres, sont nettement insuffisantes, voire dangereuses pour le hirak lui-même, même si elles ont tendance à l’encenser de façon opportuniste. J’ai déjà écrit là-dessus dans El Watan : (« Se poser sans marquer de pause… » Septembre 2019). Je pense poursuivre dans la même veine. L’invocation de la subjectivité comme une dimension importante des rapports sociaux, implique l’intégration de l’inconscient, tel que FREUD l’ a défini et tel que LACAN a formalisé sa logique en nous offrant le « mathème », c’est à dire l’écriture du discours analytique en tant qu’il provient de la subversion d’autres discours, qu’il n’exclut d’aucune façon. Autrement dit, comment s’appliquer à mettre en œuvre la logique de l’inconscient pour accéder à l’intelligence d’une situation, notamment lorsqu’elle est porteuse d’une grave crise polymorphe ?

Les thèses de ces universitaires, affiliés (es) à une institution éprise de production et de monopolisation sémantiques, peuvent présenter des prémisses théoriques recevables. Elles n’en restent pas moins orientées par le souci de la dissimulation (« ne rien vouloir savoir » , « ne pas se rappeler de ce que l’on sait », c’est-à-dire refouler, pour préserver la « passion de l’ignorance ») des vices fondamentaux, propres à l’ordre néo-libéral occidental, élevé au rang d’ordre quasi naturel, d’autant plus qu’il est bien protégé par le paravent idéal- toujours mis en avant, mais éculé- de la démocratie. En identifiant totalement cet ordre mondial inique, cynique et pervers à celle-ci, en en faisant son étalon, ces intellectuels servent –même à leur insu- cette idéologie dominante, qui n’a de cesse de se donner comme exemple, alors que l’œuvre de sape du néo-libéralisme qu’elle cache, est responsable de bien des malheurs de pays, comme l’Algérie, dont les dirigeants corrompus ont partie liée avec les divers agents de la corruption néo-libérale mondiale. La virginité de ceux-ci est sauvée par l’incantation et l’invocation de la prétendue démocratie, devenue consubstantielle en vérité de l’iniquité de ce système économique et de ses funestes conséquences. A des facteurs intrinsèques, spécifiques, auxquels il faut imputer la situation actuelle de pays comme l’Algérie, il est nécessaire pour des raisons méthodologiques et scientifiques de s’intéresser aux facteurs extrinsèques, et surtout de mettre en lumière leurs diverses articulations (Cf. à ce sujet la contribution de Hocine MALTI dans le Matin d’Algérie, qui fait œuvre de travail historique (mémoire collective qui s’appuie sur la sienne et ses interprétations, par définition révisables et critiquables ! Dommage que ces gens n’aient pas pris la parole plus tôt !!!!!) et politique lorsqu’il rapporte l’âpre combat mené contre le pouvoir français et certains dirigeants algériens, dont déjà le fieffé Bouteflika, pour mener à bien la nationalisation des hydrocarbures, en février 1971, période pendant laquelle l’histrionisme de ce dernier l’a poussé à s’identifier au Che (GUEVARA), et à l’imiter de façon aussi caricaturale que dévalorisante pour celui-ci).

L’enfermement dans un discours –fût-il universitaire- qui laisse accroire que le savoir scientifique garantit une meilleure prédicativité que les autres, et fait ainsi échec à ce qui lui échappe inévitablement, est une illusion qui convient et renforce la « passion de l’ignorance » que mobilise par ailleurs l’idéologie dominante. Ainsi dans la course à la prédicativité, tous les discours qui croient détenir les moyens pour en finir avec ce qui rend impossible cette dernière, se livrent à une concurrence et à une guerre sans merci, perdue d’avance. L’imprédicativité s’impose toujours après-coup comme une impossibilité d’ordre structural. Elle finit toujours par venir à bout des aventures idéologiques et théoriques qui n’en veulent rien savoir, et font tout pour que la méconnaissance qui les caractérise, triomphe et se répande, malgré les drames et les horreurs qui ont émaillé et marqué leur ascension et leur acceptation par des masses, prises par cette « passion de l’ignorance » et éprises d’elle, notamment lorsqu’elle est représentée, voire incarnée par des experts de la confusion entre savoir et vérité. Promoteurs de la paranoïa, ils imposent un discours du maître dont ils censurent les effets indubitables qu’il induit. Ainsi, ils font barrage à son éventuel basculement au moment où il révèle et met au jour les véritables dimensions qui le constituent et peuvent aboutir à son dépassement grâce à la prise en compte désormais de ce qui était refoulé, maintenu insu par ses adeptes les plus farouches et les plus hostiles à la régression de la paranoïa et de la mégalomanie qui l’accompagne. Toute remise en question ou en cause de cette dernière passe pour de la persécution. D’où l’usage de la force pour pervertir des institutions destinées à punir outrageusement pour « laver » l’affront et l’injustice que représente la remise en cause de la mégalomanie et de toutes ses dérives perverses. Dans un tel contexte, même la Hogra se voit justifiée : elle répond de manière « clémente », « fraternelle » au crime de lèse- majesté dont le détenteur du pouvoir est victime, alors qu’il se sacrifie pour le bien et le bonheur de ses compatriotes, d’ailleurs ignorants de tout ce qu’il fait pour eux. Il n’est que justice qu’à un moment donné, il se rebiffe « gentiment » face à tant d’ingratitude de la part de ceux et de celles qu’il considère comme de la plèbe, laquelle peut, dans certains cas, en raison de certaines de ses réactions, s’identifier elle même et se laisser volontiers identifier à cette catégorie injurieuse. C’est là le piège du discours du maître et du refoulement qu’il produit : au lieu que la subjectivité et la structure qui fait son assise soient promues, elles se retrouvent encore plus exclues, d’autant que les intellectuels censés travailler pour lever un tant soit peu ce refoulement, finissent par le consolider, en proposant une prédicativité « rafistolée » pour mieux dénier l’impossibilité qui frappe toute prétention à la prédicativité et son totalitarisme potentiel. C’est l’apanage du despotisme humaniste, qui traverse d’ailleurs l’ensemble de la société algérienne, depuis la famille en général jusqu’aux différentes institutions placées sous la férule de l’Etat.

Soutenir un mouvement de protestation de masse, « ça ne mange pas de pain » ! L’encenser de façon grandiloquente fait partie de l’opportunisme politique que l’Algérie a toujours connu depuis 1962. Le problème réside dans l’incapacité chronique des intellectuels à analyser ce type de comportements qui se répètent à l’envi, dans un aveuglement théorique quasi complet. Où sont les analyses rigoureuses sur les plans méthodologiques et épistémologiques qui libéreraient des lieux communs et des différentes resucées venues d’ici ou de là, sous forme de produits d’importation équivalant à une camelote idéologique, destinée à recouvrir et à envelopper la camelote locale ? Une camelote importée équivaut largement à la camelote produite sur place : toutes les deux ne retiennent que deux dimensions (le symbolique inévitable et l ‘imaginaire trompeur) et excluent la troisième (le réel impossible à dompter et à domestiquer) pour fabriquer une trame de piètre qualité (binaire ou bilatère), étoffée avec les mêmes ingrédients éculés pour que l’unilatère reste invisible, alors qu’il « crève les yeux ». Elles font l’objet de choix : d’abord celui des producteurs, associé à celui des consommateurs, et des liens et relations qui existent entre eux.

Alors que le hirak a fait irruption sur la scène socio-politique depuis un an, tel un symptôme dérangeant et déstabilisant, où en sont les travaux de fond(s) pour produire de nouveaux instruments conceptuels, à la fois théoriques et logiques, pour mieux asseoir ses fondements politiques et ouvrir des perspectives, libérées désormais du déni de l’impossibilité, inhérente à la structure de tous les êtres parlants et de chacun d’eux. La crédibilité du hirak ne dépend pas que de lui ! Elle est également liée à la qualité du travail théorique et politique de ceux et de celles qui le soutiennent, au premier rang desquels sont censés se trouver lesdits intellectuels. Afin qu’il ne se réduise pas à un « feu de paille », rapidement consumable et sans lendemain, et afin qu’il n’engendre pas un désenchantement et une déception pouvant réserver de mauvaises surprises, il est nécessaire de prévenir des méfaits du panurgisme identitaire de masse, qui pousse les contestataires à une identification imaginaire massive, capable d’engendrer des méfaits compromettant ses perspectives, pour peu qu’il puisse les expliciter, avec l’aide de ceux et de celles dont c’est la fonction sociale, et qui doivent être mobilisés en vue d’être sollicités, le cas échéant.

Contrairement à certaines positions théorico-politiques émanant d’universitaires, comme Jean-Pierre FILIU, (interview d’El Watan déjà citée), je tiens que le hirak n’a pas à se contenter ni à se satisfaire d’un soutien de sa légitimité et du bien fondé de ses contestations et protestations. Il doit être renforcé grâce à l’apport d’un matériel intellectuel conséquent, nécessité par la difficulté d’analyser sérieusement et rigoureusement la complexité de la situation et des diverses positions et postures qui la caractérisent. Je ne crois pas du tout que « l’étendard » de la démocratie qu’agite J-P. FILIU, sans qu’il le déroule explicitement, soit profitable au hirak. Masquer le capitalisme néo-libéral, qui met à mort des milliers d’âmes à travers le monde, en exhibant tout le temps la démocratie, devenue la « bonne à tout faire » des idéologues au service de ce système socio-économique et politique, ne doit pas constituer un leurre faisant croire que la démocratie est synonyme de néo-libéralisme capitaliste. Ces idéologues sont dans les « fabriques de savoir » pour former des trabendistes dont la fonction implicite consiste à colporter des « débilités » qui ont la vie dure malgré les leçons de l’Histoire. Ainsi, alors qu’il est établi que la nazisme, et ses horreurs inédites, découlent directement de ce système d’exploitation, divers idéologues, dotés d’un savoir universitaire indéniable, continuent de l’identifier encore au progrès et à la démocratie qu’il finit par incarner et en devenir le paradigme à reproduire partout, et de façon identique et uniforme.

Battre en brèche l’argumentation de J-P. FILIU qui la noie dans un soutien enthousiaste au hirak, doit faire partie du travail d’élucidation éthique qu’un intellectuel doit mener pour servir de manière conséquente un mouvement que l’Occident capitaliste n’a aucun intérêt à voir réussir s’il ne s’aligne pas sur sa conception de la démocratie et ce qu ‘elle cache, tait sciemment, de manière perverse. Insuffler dans le mouvement des éléments logico-discursifs pour dynamiser les dimensions mises en œuvre par la structure des êtres parlants, vise à enrichir les protestations et à les étoffer pour qu’elles puissent mettre au jour clairement les projets politiques et leurs divergences, qu’il ne s’agit d’aucune façon de taire et/ou d’atténuer, sous prétexte de préserver une unité factice et une uniformisation face au pouvoir algérien. Procéder ainsi, c’est renforcer ce dernier, et tomber encore une fois dans les travers d’une unité imaginaire, qui , à trop confondre le consensus avec une hégémonie identitaire, risque fort de déboucher sur un totalitarisme, en miroir de celui du pouvoir qui est censé être combattu et mis en échec pacifiquement.

Ce n’est pas parce qu’il draine des masses considérables qu’un mouvement est naturellement démocratique. C’est parce qu’en son sein, certains et certaines seront intéressés (es) par le choix d’une nouvelle raison que celle qui pousse au totalitarisme, et qu’il faudra patiemment élaborer, fonder et construire , que certaines impasses seront évitées. Prendre son indépendance signifie se libérer aussi de l’emprise de la raison classique qui exclut la troisième dimension, impliquée par l’impossibilité, que le capitalisme néo-libéral, sous couvert de défense de la démocratie, refuse catégoriquement. Pour se protéger et préserver ses modes d’exploitation des hommes et des richesses planétaires, il n’hésitera aucunement à faire échouer –avec la complicité voulue ou non de certains des protestataires- de mouvements qui subvertissent sa conception unique de la démocratie, fondée sur cette raison classique dont l’Histoire nous apprend, chaque jour davantage, les aspects mortifères. Déprendre et séparer la démocratie de la raison classique, bilatère, est un chantier théorique de grande envergure, dont le hirak peut et doit profiter, si tant est que ceux et celles qui sont censés être intéressés (es) par une telle entreprise, s’y engagent et s’y mettent résolument, sans a priori et sans objectif politique immédiat. Subvertir un discours, c’est-à-dire une conception du monde, fondé sur une raison partagée par ceux et celles qui s’opposent et se combattent, est une épreuve de longue haleine. C’est pourquoi des passages à l’acte meurtriers peuvent survenir et compromettre ce dur labeur intellectuel, qui ne se contente pas de « crier haro sur le baudet » gouvernemental, ni n’appelle jamais au meurtre, parce qu’il privilégie une subversion destructrice de tout ce qui récuse et refuse l’ordre symbolique, nécessaire à l’existence, et qu’il s’agit de réhabiliter en le mettant en pratique dans l’analyse des conceptions et des idéologies, qui n’existent que parce qu’elles sont exprimées, de façon orale et/ou écrite. SI le hirak représente un moment d’ouverture idéale dans l’histoire nationale, il faudra que cette ouverture soit entretenue en permettant à toutes les conceptions de s’exprimer pour qu’elles passent au crible de la critique, et ainsi de susciter un débat constant qui lui permettra de tenir aussi longtemps que possible. Car comme avec une histoire individuelle, aucun moment d’ouverture ne fait disparaître à jamais celui de la fermeture. L’une est inséparable de l’autre. C’est aussi avec de telles évidences qu’il sera possible de se libérer du carcan de la raison bilatère classique, qui est source d’appauvrissement, voire de « débilité » intellectuels.

Il ne faut pas se voiler la face : le hirak a un fonctionnement groupal, de type « moutons de  Panurge », rassemblés par des mécanismes identificatoires imaginaires qui, s’ils ne sont pas dépassés pat l’avènement d’un collectif qui ne se réfère plus préférentiellement à ces derniers, risquent fort de compromettre la possibilité de construction de fondations théoriques solides, incluant la dépendance de tous et toutes, comme celle de chacun et de chacune, à l’ordre symbolique. C’est le rappel de cette dépendance, refoulée et maintenue insue, qui pourrait favoriser l’émergence d’un nouveau discours, lequel n’accorderait plus la part belle à l’hystérie et aux risques de dérives nihilistes qu’elle est capable de susciter, pour continuer à croire et à faire croire qu’il existe un homme providentiel, doué du pouvoir de sauver le discours du maître, et d’en finir une fois pour toutes avec le défaut qui dégrade en apparence la condition humaine, alors qu’il constitue son essence-même. Il est de la responsabilité du hirak de mener cette évolution en son sein : passer du groupe au collectif avec tout ce que cela suppose de bouleversements et de subversions quant au discours dominant qui y règne implicitement derrière une unité de façade, défendue par des dénégations que le pouvoir, avec ses postures contradictoires, exploitera pour mener le hirak à l’échec. C’est en se contentant de ces dénégations et de l’encensement, excessif et de nature opportuniste, qu’il pourra prêter le flanc à ses détracteurs, qui se trouvent aussi bien à l’intérieur du pouvoir d’Etat qu’ à l’extérieur. Par conséquent, la crainte qui doit polariser l’attention du hirak, n’est pas celle de la récupération et de l’éventuelle caporalisation par une idéologie ou une autre, si tant est qu’il soit épargné « naturellement » par cette menace. Elle est surtout celle de ne pas être capable de fonder les choix qu’il propose au peuple sur une analyse tenant compte de toutes les dimensions qui entrent dans la complexité de la problématique algérienne. Tous les aspects individuels et sociaux doivent recevoir un traitement digne et conforme à une éthique qu’il s’agira de construire et d’exposer le plus clairement possible, sans démagogie ni camouflage des insuffisances théoriques, dues à des choix conceptuels impertinents à cause du « panurgisme » idéologique entretenu par des colporteurs et autres trabendistes, venus de contrées différentes, avec dans leurs besaces, pour les uns, le « sésame de la démocratie, déliée artificiellement du système économique inique qui l’entretient et l’alimente, pour les autres une prédicativité sans faille puisqu’elle est garantie par des représentants de commerce prétendant –excusez du peu- incarner Dieu et profiter de tous les pouvoirs qui lui sont attribués, parce qu’aucun être – parce qu’il est parlant , et partant humain- ne saurait mettre la main dessus. Un collectif, libéré des mécanises identificatoires imaginaires, à l’œuvre dans le groupe, doit se donner pour tâche –avec l’aide de ceux et celles dont c’est le travail- de remettre en cause et en question, et d’analyser précisément et rigoureusement les différents rapports à la prédicativité, dont s’accaparent toutes les idéologies pour mener une lutte à mort entre elles, tout en rejetant l’impossibilité de sa réalisation. Quelle que soit la nouveauté du contexte, la prédicativité reste et demeure une préoccupation dont la persistance chronique hante toutes les conceptions du monde, réunies qu’elles sont par le déni de son impossibilité. Or, la modernité ou la postmodernité consiste à mon sens à s’affranchir de ce PPDC (plus petit dénominateur commun) et d’en trouver un autre, beaucoup moins funeste et mortifère.

Lutter à juste titre contre l’oppression et la répression d’où qu’elles viennent, gagne à être étayé par la levée de l’oubli, c’est-à-dire du refoulement de la condition à laquelle sont soumis tous les êtres parlants – à l’exception d’un seul et unique : Dieu, dont le nom seul, lui confère une existence à part- quoi qu’ils fassent pour la récuser et y contrevenir. La jouissance de type totalitaire que certains (es) croient ainsi obtenir, se solde toujours, inévitablement par une perte plus importante : celle de l’indignité et de la lâcheté qui aggravent le mépris qui leur est réservé. L’oppression et la répression exercées au nom de la mainmise sur une forme de prédicativité, ne relèvent pas d’une méprise. Elles sont à l’image du colonialisme et de l’impérialisme, dont toutes les formes, -des plus barbares et sauvages aux plus soft- révèlent l’inanité de la prétendue démocratie, qui les dissimule pour faire l’apanage éhonté des sociétés dites riches et « civilisées ». Pour que le hirak ne tombe pas sous le joug d’idéologues qui le caporaliseraient et dévoieraient son projet, encore faut-il que ses membres s’intéressent à le fonder en raison, en faisant appel à une logique qui n’évite aucun questionnement, même celui qui paraîtrait étranger à sa cause. Ainsi, si la démocratie, terme plurivoque et polysémique s’il en est, l’intéresse, aucune question ne doit être laissée de côté, ou balayée d’un revers de main. Il faut s’atteler à donner à sa formulation une qualité qui permette d’expliciter la position qui en procède et découle. Rien n’interdit par exemple de se demander pour quelles raisons la démocratie, issue des Lumières européennes, n’a pas empêché les menées et les aventures colonialistes et impérialistes, de même qu’elle n’a pas empêché l’abomination nazie ?

Le hirak doit devenir aussi un creuset intellectuel duquel peuvent émerger des conceptions nouvelles, dont l’immédiateté et la spontanéité peuvent devenir les prétextes et les occasions de leur approfondissement, et surtout de leur fondation, pour qu’elles résistent aux assauts de ceux et de celles qui les combattent âprement et durement, même si le cotexte reste pacifique. Il n’y a aucune place pour l’ingénuité, ni pour l’angélisme, lorsqu’il s’agit de confrontations, inscrites dans une « lutte des classes », de plus en plus terrible, qui sévit –n’en déplaise aux piètres tenants de la modernité et de la démocratie viciée – aux plans national et international. E. MACRON n’hésite pas à proclamer sur tous les tons son soutien à A. TEBBOUNE , qui le recherche et le demande, et pour cause.

Le Hirak a intérêt à ne pas s ‘encombrer d’un certain galimatias amphigourique colporté par les trabendistes de la démocratie-caution du capitalisme et de ses horreurs. Il a et aura de plus en plus à faire des choix, qui impliquent la plus juste évaluation possible des alternatives proposées. D’où la construction d’instruments conceptuels permettant ces évaluations, et la mise en place de méthodes d’approche qui éclairent les problèmes en précisant au mieux leur formulation. Ses rapports avec la « société civile » doivent aussi être explicités, ainsi que ses relations de travail avec les intellectuels et experts de tous bords. Il doit être à l’initiative d’un programme de longue haleine, qui a à circonscrire l’urgence et la priorité de certains chantiers, en mobilisant et en faisant appel à tous ceux et à toutes celles qui ont quelque chose à proposer et à exposer de manière claire et concrète, oralement et sous forme écrite, afin que tous et toutes les intéressés (es) aient voix au chapitre, sans exclusive et sans aucune préséance ou privilège. Des comités d’études divers, tirés au sort, prendront en charge certaines thématiques et problématiques proposées pour les étudier, les analyser et en proposer des lectures critiques, capables de déboucher sur l’adoption de positions, élaborées et soutenues de manière responsable par ceux et celles qui y ont travaillé, et qui sont capables dès lors de les rendre publiques. C’est ainsi que le peuple pourra voter en connaissance de cause pour ceux et celles qui les représenteront à l’Assemblée nationale. Le mérite est alors partagé, de même que la responsabilité : celle des élus qui rejoint celle des électeurs et des électrices, qui décident de leur donner leur voix, en marquant bien la voie qui les intéresse. Par cette mise au travail exigeante, le hirak pourra contourner le débat stérile que certains idéologues et « politicards » nourrissent, en le réduisant à une affaire de pouvoir entre l’armée et sa toute-puissance et ceux qui lui sont assujettis ou qui remettent en cause son hégémonie. Les arguments infantiles développés par des experts patentés, issus de diverses institutions universitaires, rappellent la compétition que se livrent certains garçons pour savoir qui urinera le plus loin, et fera alors preuve de virilité et de toute-puissance incontestables, sont indignes de la complexité de la conjoncture socio-économique, politique et culturelle, et des affres dans lesquelles se débat la majorité des Algériens (nes). Ils ne gagneront leur titre de noblesse que lorsque le hirak les amènera progressivement à abandonner l’identification victimaire, pour accéder enfin à la responsabilité de se demander en quoi ils sont pour quelque chose dans ces affres, pourquoi méritent-ils des dirigeants aussi despotiques et tyranniques, alors qu’ils ont réussi à mettre fin aux pires exactions du colonialisme français ? Et, last but not least, comment s’y prendre pour ne pas se laisser avoir de nouveau par des « flatteurs qui vivent aux dépens de ceux qui les écoutent » et acceptent de croire les illusions qu’ils leur servent. En effet, respecter le hirak, revient à se départir de ce travers hystérique, développé par certains (es) universitaires qui risquent d’enliser le mouvement –non sans son approbation tacite ou explicite- dans une défiance improductive à l’endroit du pouvoir et de la fascination qu’il exerce aux yeux de certains (es) fanatiques de la virilité, qui ne veulent pas savoir que, non seulement il n’ y a pas de masculinité sans féminité, mais que cette dernière n’est pas réservée au seul sexe féminin, puisqu’elle est la matrice du désir, dont la loi –commune aux deux sexes- est insupportable pour tous ceux et toutes celles qui rejettent leur manque, en l’identifiant à une « tare », à une faiblesse « féminisante » en raison de l’impossibilité de réaliser une totalité et une complétude ontologique, qui restent toutes deux sous l’emprise du fantasme. Pour beaucoup, désirer renvoie au manque, qui devient un stigmate honteux, alors qu’il spécifie la condition humaine et la place sous sa loi, qui transcende aussi bien le temps chronologique que les organisations sociales humaines. Le désir, parce qu’il « féminise » est éternel : il donne sa consistance à la vérité, au sens où il rend caduc n’importe quel objet qui pourrait, à un moment donné, lui convenir et être élu par lui.

C’est à partir de cette base anthropologique fondamentale que se dessine un projet politique, qui cesse alors de refouler, voire de forclore la dimension subjective, c’est à dire sexuelle, propre à la condition humaine. La politique, dans tous les sens du terme, est subordonnée à la conception et à la définition données à cette dernière. C’est pourquoi la façon dont elle est traitée est essentielle : elle détermine en fait le choix qu’il y a lieu de faire entre les différentes voies qu’elle propose et met à disposition de ceux et de celles qui y sont aliénés (es) « pour de bon ». D’ailleurs, chercher à se libérer et à se départir de cette aliénation essentielle finit par rendre fou ! C’est au contraire, en s’appuyant sur elle que l’aliénation sociale asservissante, peut relâcher son étreinte et réduire sa charge perverse, lourde et – ô combien – pénible.

Amîn HADJ-MOURI

25/02/21

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