Qui fait quoi? – K. VANCAUWENBERGHE

« Qui fait quoi ? »

 

Je parle de cette place étrange qui est la mienne, aussi étrange que peuvent l’être toutes les positions singulières dès lors qu’elles s’assument comme telles, c’est-à-dire insoumises à la multitude des impératifs institutionnels, intellectuels ou moraux. Aussi, par la force des choses (pour ne pas dire : « par la force de das Ding »…), j’interviens ici sans raison particulière (quoique, j’ose l’espérer, à raison), si ce n’est celle de l’invite, de l’appel. J’ai entendu les propos d’Amîn HADJ-MOURI qui, lors de sa conférence du 23 avril 2016 sur la radicalité du Discours Analytique, a eu l’occasion d’exprimer entre parenthèses (et, si vous ne l’aviez pas encore noté, j’ai beaucoup de considération pour les parenthèses, en tant que leur contenu recèle des merveilles signifiantes, et que le véritable propos s’y loge souvent) d’exprimer donc sa déception, voir son dépit, face à l’apathie associative qui semble carier les institutions analytiques. Ne vous y trompez pas, la métaphore n’en est pas moins métonymique.

 

J’ai souhaité répondre à cette parole en y ajoutant la mienne. Concise, certes, assez peu argumentée, mais parole malgré tout. J’ai aussi souhaité répondre à sa question qui, pour rappel, était : « Kiffer quoi ? » (à moins que ce ne fut : « Qui fait quoi ? »…). Ceci est une intervention impromptue, un texte qui n’entend pas suivre la dialectique discursive propre à l’essai, dès lors que l’adhésion de mon lecteur m’importe peu ; je préfère encore qu’il glisse et s’y cogne.

 

En éjectant de la sorte la logique du discours universitaire, j’abandonne toute ambition savante. Disons-le simplement, en guise d’éclaircissement sur la position à partir de laquelle je parle : je ne suis ni psychiatre, ni psychologue. La formation qui est la leur, tout comme la sémantique qu’ils emploient et la rhétorique qui noue leurs échanges ne me sont pas familières. Je ne suis pas non plus psychanalyste, quand bien même il m’arrive d’en occuper la position et la fonction, fondé que j’y suis par mon désir et par quelques autres. Je m’exprime comme un-qui-parle, et analysant par-dessus le marché.

 

La question de mon inscription dans une association et, par extension, à l’AECF, s’est posée sur le fond d’une interrogation quant à l’acte de travail et à sa nature. C’est en quoi j’insiste sur la pertinence de ce « Kiffer quoi ? » puisque l’association, de fait, en tant qu’elle noue chaque-un qui s’y inscrit dans un déploiement de sa clinique à la dimension de l’Autre, appelle à se coltiner, voir à se colter, ou encore à se justifier, c’est-à-dire à écrire de biais, de sorte que toutes et tous puissent y placer leurs mots. Je note en passant, bien que ceci soit acquis, mais le fait que j’y pense m’oblige à le mentionner, qu’une association analytique ne saurait se satisfaire d’être garante de légitimité pour ses membres. Excusez ma candeur. Je pense simplement que le capitalisme ayant permis l’établissement de cette curiosité que sont les fabriques à analystes, nous sommes certainement les moins bien placés pour jouir du label « made in Paris 8 » et, en conséquence, excluent de facto du marché, la voie nous est offerte de poursuivre l’exploration du fameux continent découvert par Freud et dont on sait depuis plus d’un siècle que son investigation supporte mal les lourds bagages de ceux-qui-savent, y préférant le pas timide, mais insubordonné de ceux-qui-parlent.

 

J’en viens donc au concret du travail et à la participation associative. Il s’agit, à mon sens, d’une question éthique, puisqu’elle s’inscrit dans une praxis. Les voies sont pléthores, je ne vous ferais pas l’offense de les énumérer. Pour ma part, s’agissant ici d’un témoignage, j’ai pu faire l’expérience de situations diverses au sein, par exemple, d’un cartel, d’un groupe de lecture, de conférences variées. La pluralité conceptuelle inhérente à ces différentes approches contextuelles soumet la réflexion à une élaboration déstructurante quotidienne, salvatrice aussi pour cette pensée qui ne cesse de se dire et se dédire dans une logique circulaire et moebienne. Subsiste la nécessité de rendre compte. Celle-ci cependant s’inscrit dans un temps logique qui est celui d’une fin de travail. Lorsqu’on a fini d’écrire, on peut passer ses notes et gribouillages. Reste la possibilité de regarder sur la feuille du voisin, alors même qu’il écrit. Une simple demande suffit.

 

Lacan conclut son acte de fondation par ces mots : « Les autorités scientifiques elles-mêmes sont ici l’otage d’un pacte de carence qui fait que ce n’est plus du dehors qu’on peut attendre une exigence de contrôle qui serait à l’ordre du jour partout ailleurs. C’est l’affaire seulement de ceux qui, psychanalystes ou non, s’intéressent à la psychanalyse en acte. C’est à eux que s’ouvre l’École pour qu’ils mettent à l’épreuve leur intérêt — ne leur étant pas interdit d’en élaborer la logique. »

 

Cet appel antécéde celui d’Amîn HADJ-MOURI, tout en le supplémentant par la réponse à cette question sous-entendue : non seulement, « qui fait quoi ? » mais aussi « qui peut le faire ? », ce quoi. Et bien, qui s’y sent intéressé. Rien de moins.

Kevin VANCAUWENBERGHE

20/05/2016

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