APRES-COUP ? UN SOLILOQUE NE DISLOQUE PAS LE COLLOQUE ! LE DISCOURS ANALYTIQUE EST LOIN D’ETRE EN LOQUES !!

 

Cet écrit est un document de travail qui servira de base de réflexion et de discussion pour le séminaire du jeudi soir sur le symptôme.

 

 

« La dialectique de méconnaissance, de dénégation et d’aliénation narcissique est le fait du moi » (LACAN Ecrits. P.454)

 

« Dans un champ d’objets, aucune relation n’est concevable qui engendre l’aliénation sinon celle du signifiant (Ibid. P. 840)

« L’aliénation réside dans la division du sujet » (ibid. P.841)

 

« Le manque à être constitue l’aliénation » (Compte rendu d’enseignements ; Ornicar ?,29 :8-25,1984.Enseignements 1964-68)

 

« Il n’y a pas d’universelle qui ne doive se contenir d’une existentielle qui la nie » (LACAN  L’étourdit)

 

Il est des lendemains de colloques, qui ne chantent pas mais qui ne déchantent pas non plus. Ils sont surprenants : ils peuvent aussi bien enchanter en relançant la réflexion, et en mettant au jour de nouvelles interrogations et préoccupations, antérieurement charriées, mais jamais saisies et extraites de l’environnement et du contexte qui les contraignaient. Ils soutiennent ainsi le « work in progress » et évitent la dislocation de la pensée.

Au terme de notre rencontre sur la P.I (Psychothérapie institutionnelle), une insatisfaction m’a embarrassé : elle provient de ce que certaines questions fondamentales à mes yeux, n’ont pas reçu le traitement qu’elles méritaient. Afin de ne pas se laisser aller à la posture facile de la « belle âme », et sachant donc que ma responsabilité est engagée, je me suis décidé à reprendre la plume pour apporter les éclairages supplémentaires, qui me semblent importants pour prolonger la problématique que j’ai extraite des débats du colloque, et qui concernent en définitive, le désaliénisme, promu par certaines conceptions, inscrites dans des discours différents.

Le désaliénisme convoité par la PI, telle que la conçoit Jean OURY par exemple, présente des similitudes quant à la mise en évidence du caractère pathogène des institutions de soins, mais aussi des différences notables, avec celui que met en avant Lucien BONNAFE, qui ne fait pas directement référence à la psychanalyse, à l’inverse du premier. Par ailleurs, il est tout à fait pertinent de se demander quel type de désaliénisme –si tant est qu’on le définisse rigoureusement- le discours analytique promeut. Lucien BONNAFE, qui n’a jamais ménagé ses efforts pour mettre à bas « l’aliénisme traditionnel », soutenu et appuyé par ce qu’il appelait déjà en 1972, « l’impérialisme bureaucratique de la psychiatrie de secteur », nous propose de « maintenir l’exigence de plus de rigueur dans le développement du mouvement désaliéniste, pour une psychiatrie critique dans l’ordre d’une critique de la psychiatrie, en somme pour une psychiatrie différente ». Il réprouve à juste titre le caractère pseudo-critique de l’anti-psychiatrie, et considère que « le combat théorico-pratique, engagé par le « mouvement désaliéniste », consiste non seulement à dénoncer « l’asile en tant que système fermé et aliénant », mais aussi à mener ce qu’il appelle « la lutte anti-psychocratique » pour déjouer les objectifs des « néo-psychocrates révolutionnaristes », dont la région du Nord, entre autres, a beaucoup pâti, a souffert et continue de souffrir. Il n’hésite pas à écrire, cette année-là, dans son ouvrage « Dans cette nuit peuplée » (Ed.Sociales) : « le discours de la belle âme paré des couleurs de la révolution sert trop souvent de caution à des conduites dérisoires, trop mises, en fait au service de l‘ordre établi ». Même si la « psychiatrie différente » qu’il promouvait ne se référait pas explicitement au discours analytique, il reste attaché au discours médical, car dit-il « l’homme malade  tient au modèle médical dont il ne faut pas se démarquer et se dégager en remplaçant l’objectif de guérison par les « paraphrases verbeuses » : aider les gens à conquérir leur autonomie, qui se substituent et disqualifient l’aide apportée à un homme pour guérir, car le guérir c’est « le renvoyer à sa condition de bête de somme au service du capitalisme », alors que s’il est « délivré des pressions paralysantes », il gagne sa liberté de « se déterminer plus librement face au capitalisme ». Le caractère subversif des thèses de BONNAFE est quelque peu atténué par la compatibilité, voire la complémentarité qu’il croit possible entre le discours médical et celui de la psychanalyse. Alors que la psychiatrie est prête à faire « l’éloge de la folie » et des potentiels qu’elle recèle, la psychanalyse ne reconnaît pas à celle-ci la subversivité que lui attribuent nombre de « désaliénistes ». La remise en question du rôle des « psychocrates » et des « néopsychocrates » dans les institutions, devenues des espaces pathogènes et aliénants, ne s’appuie pas sur le sujet comme négation du moi. Or, c’est bien le sujet qui est dominé et écrasé par « la contrainte normative et adaptative », réaliste au sens où elle convient très bien aux canons du capitalisme. Pourtant, BONNAFE n’hésite pas à faire remarquer dans sa « Lettre au jeune psychiatre » : « Souviens-toi du noyau originel de la découverte freudienne et du fait que si qui que ce soit, dit à un docteur sous la forme la plus falsifiée, celle, par exemple, du discours somatisant, « il y a quelque chose qui ne va pas », le docteur n’a pas le droit de dire, au nom du modèle médical qu’il a incorporé, qu’il n’y a pas de demande de soins ou que la demande de soins est « fausse ». Il y a une demande de soins, et que le type de réponse soit correctif de ce que cette demande porte comme inflexion idéologique, c’est le principe même de ta réponse à la « société », devant laquelle ta responsabilité est de définir et d‘agir ta fonction dans le dispositif de santé ». (« Dans cette nuit peuplée. Ed. Sociales 1977). Ce type de position contrecarre la « psychocratie » psychanalytique. Elle s’appuie sur une conception qui met davantage l’accent sur la critique de l’idéologie aliéniste, mais laisse de côté, à mon sens, l’articulation entre l’aliénation sociale et l’aliénation symbolique ou signifiante. Faute de clarification sur cette dialectique, les éradicateurs de symptômes, qui confondent ces deniers avec « ce qui cloche » dans la subjectivité, deviennent de fieffés aliénistes, lesquels n’ont de cesse de « souder » la division subjective pour anéantir le vide qu’ils identifient à une nihilité, alors qu’il est opérant et se matérialise par le ratage. Ce dernier met en évidence la dimension du réel en tant que limite, inscrite dans toute construction, prétendant assurer une prédicativité sans faille.

Les questions qui m’ont été posées à table par Moufid ESSABGUI m’ont amené à apporter les précisions suivantes quant à « l’aliénation signifiante ». Sa question, à laquelle j’ai alors répondu partiellement, m’a amené à constater que, dans l’exposé que j’avais présenté au colloque, mes tentatives de préciser cette notion n’avaient pas été probantes. Je vais essayer ici d’apporter quelques commentaires supplémentaires, pour ne pas taire le débat, mais au contraire pour le relancer, afin que d’autres apports puissent le nourrir encore. Autrement dit, comment s’y prendre pour favoriser, à partir de l’automaton, dont il est impossible de se départir, l’émergence du « bon heur(t) » ou de la « tuche », qui met en évidence le désir, métaphorisé par l’objet qu’il quête et convoite ?

Je tiens que le désaliénisme, proposé par la P.I, reste obéré par le discours médical qui réunit le discours du maître et celui de l’université, pour faire prévaloir une sémiologie dans laquelle le savoir total, celui de la médecine, de la psychologie et de la psychanalyse, voire d’autres connaissances encore- maîtrise le signe, en croyant détenir les clés d’accès à son signifié. La polysémie et l’équivocité n’ont plus de secret pour ceux qui savent réifier le sens et figer le signe pour se départir du signifiant, dont la logique est fondamentalement différente de celle de l’univocité sémantique, qui n’a cure du sujet, même si le terme est usité par elle. Ce dernier n’a en fait aucune influence sur un tel savoir qui détient les moyens de libérer « humanistement » de ses symptômes, celui qui n’a pas les moyens de s’affranchir de ce qu’il produit lui-même, mais qui peut tout de même s’offrir au transfert imaginaire qui lui est proposé, pour « sortir » de sa « maladie » et recouvrer une raison dans laquelle la parole, du fait de la pathologie, n’est plus reconnue comme vectrice d’une subjectivité, partagée dans la différence. Or malgré les positions différentes de soignants et de soignés, elles restent toutes les deux arrimées au même point : le défaut constitutif de la subjectivité, qui récuse toute homéostasie, compromettante pour l’ex-sistence subjective.

Il me semble tout à fait justifié de nous demander pourquoi les efforts consentis par un Lucien BONNAFE, pour mettre sur pied « une psychiatrie différente » à visée désaliéniste, se sont avéré vains. Malgré quelques avancées indubitables quant à la prise en charge des « malades mentaux », valables surtout du vivant de ces rénovateurs, on peut se demander si les difficultés majeures qui obèrent les institutions dites soignantes ne ressortissent pas aux limites intrinsèques de la psychiatrie en tant qu’elles sont inhérentes à ses propres fondements théoriques et épistémologiques. Ainsi, la notion de « maladie mentale », malgré une certaine influence du discours analytique, reste assise sur des conceptions de l’individu qui, même si elles intègrent l’aliénation sociale, au sens de MARX, s’avèrent en fait déliées de la structure subjective et de toutes ses conséquences théoriques, institutionnelles et politiques, telle que FREUD l’a envisagée, et que LACAN a formalisée. Une théorie peut paraître très progressiste lorsqu’elle prend le contrepied d’une autre, mais comme elle reste captive de l’ascendant de la logique bilatère qui submerge celle à laquelle elle s’oppose, elle finit par s’infléchir et se soumettre à la domination du discours du maître, parangon de la sphère, qui refuse de reconnaître que le réel est fondu dans la trame-même des énoncés qui l’excluent.

Ce mode de désaliénisme est, pour moi, une forme subtile d’aliénisme, qui permet à la psychiatrie de prendre de nouveaux visages, sans modifier fondamentalement ses fondements théoriques. Il participe de et à un renforcement de l’aliénation sociale, qui ne souffre pas le sujet et la subjectivité, et notamment le défaut qui les constitue et détermine le désir, insupportable aux yeux des tenants de la psychose sociale, c’est à dire ceux qui se font les « soudeurs » de la division subjective et les « soudards » de systèmes idéologiques exclusifs du signifiant. Ils ont en plus l’outrecuidance d’annoncer qu’ils « soignent » des « psychotiques » avec les méthodes issues du « réalisme simplet » (A. EINSTEIN) ou du « réalisme naïf » que critique Bertrand RUSSELL  en ces termes dans « Signification et vérité » : « Nous commençons tous avec le réalisme naïf, c’est à dire avec la doctrine que les objets sont tels qu’ils paraissent. Nous admettons que l’herbe est verte, que la neige est froide et que les pierres sont dures. Mais la physique nous assure que le vert des herbes, le froid de la neige et a dureté des pierres n’est pas le même vert, le même froid et la même dureté que nous connaissons par notre expérience, mais quelque chose de totalement différent. L’observateur qui prétend observer une pierre observe, en réalité, si nous voulons ajouter foi à la physique, les impressions des pierres sur lui. C’est pourquoi la science paraît être en contradiction avec elle-même, quand elle se considère comme étant extrêmement objective, elle plonge contre sa volonté dans la subjectivité. Le réalisme naïf conduit à la physique, et la physique montre, de son côté, que ce réalisme naïf, dans la mesure où il reste conséquent, est faux. Logiquement faux, donc faux ». (C’est moi qui souligne. Cité par A. EINSTEIN dans son ouvrage « Comment je vois le monde ». Ed. FLAMMARION. Champs Sciences. 1979). Ce réalisme naïf ou « simplet » renforce la spécularité, nourricière de la sphéricité et du bilatère, délié de l’unarité qui lui est cependant nécessaire. Il bafoue le « motérialisme » (LACAN) dont Bertrand RUSSELL donne ici une conception, qui rend compte de l’aliénation signifiante ou symbolique, qu’un néo-aliénisme nie, tout en faisant main basse sur des concepts psychanalytiques. Ce néo-aliénisme rassemble les tenants d’un pluralisme prétendument démocratique qui se targue de développer des conceptions diverses et différentes en apparence, et dissimule plus ou moins astucieusement le fait que seules celles qui renforcent la logique sphérique, et excluent la mise continuité moebienne entre le bilatère et l’unilatère, ont droit de cité. Toutes les constructions et autres fictions qui rappellent leur fondement signifiant et battent en brèche le réalisme naïf à l’œuvre dans la sémiologie psychopathologique, deviennent menaçantes, et se voient dès lors écartées voire éliminées. Avec le primat du signifiant, le signe réifié dans une sémiologie ne parvient pas à mettre un terme à sa polysémie, qui remet dès lors en question son univocité sémantique. Le signifiant redonne ses lettre de noblesse au futur antérieur selon lequel se conjuguent les « espiègleries » de l’inconscient, que chaque parlêtre tente de déjouer, voire de combattre pour éviter, en vain, d’en être la dupe.

En s’érigeant sur cette base : le « meurtre de la chose », le signifiant ne saurait la restituer tel quelle. Il la représente en la métaphorisant, et assoit ainsi l’incomplétude du symbolique en tant qu’il consacre la perte définitive de la totalité. C’est d’ailleurs grâce à cette structure qu’une œuvre dépasse toujours l’auteur qui l’a produite, même s’il ne cesse pas de nier sa dépendance du signifiant et du symbolique. Aussi toute construction particulière, manifestant le choix d’une position subjective, que les théories aliénistes simplifient et dénomment maladie mentale, n’est plus lue comme une façon –fût-elle « pathologique- de rendre compte de l’aliénation signifiante. L « ’aliénation mentale » a une valeur d’usage que l’aliénation sociale exploite à merveille : elle dénonce et conteste le défaut constitutif de la subjectivité, qui provient de la dépendance du symbolique, caractérisé par son incomplétude et la castration qui en procède. Elle rejoint l’aliénation sociale qui ne veut rien savoir de cette incomplétude et qu’elle projette de « vaincre » en convoquant tous les savoirs possibles : du charlatanisme le plus éhonté aux connaissances les plus sophistiquées et les plus scientifiques, au profit de celui qui est « soigné » et de celui qui « soigne », tous alliés dans un transfert imaginaire, qui n’a de cesse de prétendre mettre fin au « défaut de rapport sexuel »(LACAN) et d ‘éradiquer « ce qui cloche »(LACAN) dans cette subjectivité, réfractaire à toute homéostasie, et qui tient à son équilibre instable, du à l’incomplétude du symbolique. Aussi, si l’on veut se libérer un tant soit peu de l’aliénisme, allié de l’aliénation sociale, il est légitime de se demander comment procéder précisément grâce à la logique spécifique du discours analytique, pour que la « maladie mentale » devienne une production dont la déconstruction permette la rencontre avec le signifiant et que le défaut, issu de l’incomplétude du symbolique, devienne « réparateur ». En d’autres termes, comment les « malades mentaux » peuvent-ils mettre au jour, grâce à toutes leurs différences, que l’aliénation sociale entretient de façon très embarrassée, ce qu’ils partagent fondamentalement avec ceux qui ne sont pas « malades », et qui se battent pour avoir une place de choix dans l’organisation sociale grâce à cette aliénation qui refuse la condition de dupe de l’inconscient. Il arrive parfois qu’il faille passer par l’irrévérence et l’impertinence de l’inconscient pour soutenir une hétérodoxie, dont la subversion n’a rien à voir avec l’hystérie, laquelle est toujours en quête d’un maître, de plus en plus expert pour consolider l’aliénation sociale.(Cf Mai 68 et ses conséquences jusque de nos jours).

L’aliénation signifiante ou l’irrévocable dépendance du symbolique, implique une altérité qui permet à une unité de se fonder sur une division dont le mérite consiste à assurer une articulation constante, sous la forme d’une mise en continuité moebienne entre le moi et sa négation : le sujet. Cette unité spécifique, appelée unarité par LACAN peut se dégrader en clivage et en dislocation, comme dans les psychoses, considérées par la psychopathologie classique, comme le paradigme de l’aliénation mentale. L’ordre de la raison classique refoule voire forclot l’ordre symbolique, qui subvertit, grâce à son incomplétude, la sphéricité, privilégiée par la conscience, adepte du tiers exclu.

A quel ordre doit-on recourir pour mettre en cause l’aliénation sociale qui prétend détenir les pouvoirs de juguler et d’éradiquer le symptôme en réunissant tous les savoirs possibles et imaginables pour ce faire ? Les adeptes du réalisme font masse pour s’enfermer dans des idéologies qui les confortent narcissiquement, d’autant plus qu’elles évacuent le vide en le présentant comme inopérant. Aucun savoir, établi sur cette évacuation, n’est plus prédisposé qu’un autre –qui la partage- à accéder au discours analytique.

Nul n’échappe complètement à l’aliénation sociale. Mais nul n’est contraint de s’adapter totalement à elle, malgré les injonctions et les impératifs, qu’elle impose et qui renforcent le surmoi, contre l’aliénation signifiante. Si celle-ci est acceptée et respectée, elle donne les moyens de subvertir et d’évider les théories idéologiques, qui nourrissent l’espoir qu’un jour le progrès offrira les moyens d’anéantir le manque à être, et d’atteindre par là même le bonheur, identifié à la jouissance absolue, dès lors compromettante pour l’existence subjective. Pour les « progressistes », l’évolution consiste à en finir un jour avec la castration symbolique, d’une manière plus « humaniste » que les réactionnaires. Ceux-là imputent facilement leur échec à ceux qui s’opposent à eux, et entravent la suture idéalisée du manque à être qu’ils préconisent. Ils ne se demandent même pas si leurs tentatives ne portent pas en elles une imposture logique, celle qui revient à nier la dimension de l’impossible, en jeu dans la structure propre à l’être parlant. Captifs de l’aliénation sociale qu’ils disent rejeter pourtant, ils n’ont de cesse de refouler et de mettre en défaut l’aliénation signifiante, qui les confronte au manque à être et bat en brèche la complétude idéale qu’ils convoitent pour eux et pour les autres. Ils ne trouvent plus les moyens intellectuels pour déconstruire cette aliénation sociale qu’ils critiquent à raison. Ils finissent par errer, à l’image de nombreux « soixante-huitards », qui ont trouvé refuge dans la débilité bilatère, et en deviennent –réalisme oblige- des maîtres incontestés.. Ainsi, ils sont gratifiés –selon leur notoriété d’anciens « révolutionnaires »- d’un confort matériel et intellectuel, d’autant plus inhibant qu’ils participent désormais à la consolidation de l’aliénation sociale: de crainte de rencontrer le manque à être et de se rendre compte que leurs postures procèdent malgré tout du « motérialisme » fictionnel, donc déconstructible, ils rejettent tout effort de déconstruction des idéologies qu’ils incarnent, et qui, parce qu’elles sont faussement identifiées à la démocratie, deviennent des supports indiscutables de l’aliénation sociale.

Toute conception, qui privilégie ce mode d’aliénation sociale, sans oser le déconstruire sur la base du signifiant, inhérent à l’aliénation symbolique, finit à terme par « sombrer » dans l‘aliénisme, radicalement hostile à cette altérité spécifique et indépassable en tant qu’elle procède du vide, qui n’induit aucune nihilité, mais représente au contraire la source de « l’automaton », révélateur de la « tuche », c’est à dire du ratage, protecteur du désir. Ce vide, qui caractérise la structure du signifiant, à travers l’écart entre celui-ci et le signifié, opère efficacement en tant qu’il est la source de métaphorisations diverses, explicitant sa propre insaisissabilité. Il n’y a aucun rapport avec qui que ce soit ou avec quoi que ce soit qui résolve définitivement la question du manque à être, qui est au fondement de l’ex-sistence et du désir. En d’autres termes, tout rapport vient en quelque sorte matérialiser le ratage que contient la prédicativité pour faire échec au manque à être. Ce dernier, constitutif de l‘aliénation symbolique (ou signifiante) négative l’aliénation sociale à l’œuvre dans la prédicativité, qui vise à anéantir l‘altérité irréductible et nécessaire à « l’unarité » entre le moi et le sujet, malgré les efforts conjoints du moi et du surmoi pour la mettre en échec, en dévoyant notamment le sens de l’interdit structural : (celui de l’inceste).

Quant à l’aliénation mentale, représentée par la psychose, elle ne perturbe pas fondamentalement l’aliénation sociale : l’une et l’autre poursuivent un même objectif ; l’anéantissement de l’inconscient, qui s’avère vain. D’où la chronicisation d’un côté et la persistance du projet d’anéantissement de l’autre, grâce aux progrès de la science à visée prédicative, qui se voient déliés de leur fondement signifiant, au grand dam des scientifiques sérieux, qui ne cessent d’insister sur le ratage, ou l’incomplétude du symbolique, qui permet de féconder et de fructifier leurs réflexions. Quant aux différents « éloges » rendus à la folie ou à l’aliénation mentale, ils procèdent de conceptions idéologiques, au service de l’aliénation sociale : ils présentent la psychose comme le paradigme de la liberté, doté d’un pouvoir « révolutionnaire » hors-pair, sur lequel les névrosés devraient prendre modèle pour s’affranchir de l’aliénation sociale. Ainsi, les « guérir » les psychotiques, au sens de les « névrotiser », c’est à dire de les soumettre à l’aliénation sociale et à ses vains et vaniteux projets d’anéantissement de l’incomplétude du symbolique, devient une ineptie, que certains maîtres aliénistes développent, en ne tenant aucunement compte de l’aliénation signifiante que les psychosés tentent, sans succès, d’anéantir, quitte à s’abîmer dans un négativisme dévastateur, pour imposer leur rejet catégorique du défaut de rapport sexuel, devant lequel certains névrosés, épris de la « folie de guérir », restent admiratifs. Parmi ces derniers, se recrutent les adeptes du métalangage qui sert à contrevenir au fait qu’il y a un manque radical dans l’Autre, que nul ne peut incarner, confirmant ainsi ce que LACAN avait bien repéré : « Il n’y a pas d’Autre de l’Autre ».

La « maladie mentale » ou « l’aliénation mentale » rejoint et se conjoint à l’aliénation sociale pour tenter de mettre fin à la dépendance du symbolique, propre à tout être parlant. Cependant, quelle que soit « l’aliénation mentale », pertubatrice de l’individu quant à son autonomie et à sa « liberté », la dépendance du symbolique- malgré toutes les vicissitudes imposées par la  « maladie »- persistera malgré tout. Aussi, si le manque à être, corrélatif de cette dépendance du symbolique, était anéanti, qu’est ce qui permettrait de repérer que du transfert est encore possible dans les relations avec ces «malades mentaux » ?

Cette aliénation signifiante cependant a fort à faire pour contrer les prescriptions imposées par l’aliénation sociale. Ces dernières sont obsédées par tout ce qui promet la suture du « troumatisme », inhérent à l’aliénation signifiante en tant qu’il est le fondement essentiel de l’ex-sistence subjective.

L’aliénisme ne saurait se réduire à sa sinistre caricature, à savoir la psychochirurgie (lobotomies) et/ou la sismothérapie, par exemple. Il peut aussi se présenter sous la forme d’une restitution de l’intégrité du moi en délestant « l’appareil psychique », même s’il n’est pas réduit au fonctionnement cérébral, de la négation que représente l’inconscient, par trop « polluante » pour l’unité et la totalité du moi. Le rejet –forclusif-de la division subjective, notamment dans les psychoses, s’appuie sur un négativisme, qui transforme celle-ci en un clivage hostile et réfractaire à la mise en continuité moebienne du moi et du sujet, l’un ne pouvant se passer de l’autre, par nécessité structurale. Cette logique moebienne est mise en défaut par les psychoses, qui rejoignent, tout en les renforçant, la sphéricité et l’univocité bilatère sont mises en avant par les théories aliénistes, qui peuvent se présenter sous des formes différentes,, et parfois même, apparemment opposées entre elles. Nombre de ceux qui ont fait l’objet d’un diagnostic d’aliénation mentale, finissent par s’y identifier et continuent de participer à l’aliénation sociale, afin de se protéger de l’aliénation signifiante, devenue par trop menaçante. L’aliénation mentale et l’aliénation sociale, chacune à sa façon, se rejoignent et se liguent pour tenter de développer des réactions xénopathiques à l’égard de cette altérité et de cette étrangeté que représente l’inconscient. Le négativisme psychotique est un trouble fondamental qui affecte la négation, mise en œuvre par l’inconscient. Il représente une tentative de se « libérer » de ce dernier en produisant une « aliénation mentale », qui rejette l’altérité inhérente à la division subjective. Cette xénopathie, qui appelle à la « purification », par élimination de tout ce qui rappelle l’inconscient, fait pendant à l’aliénation sociale, laquelle refuse l’altérité, jusqu’à faire l’éloge de la folie, en l’élevant au rang de paradigme de la liberté individuelle. Cette « promotion » vise à éliminer toute référence à l’inconscient, qui concrétise la dépendance du signifiant, à travers ses différentes formations. La négation constitutive de ce dernier, met constamment en œuvre, et en articulation avec le temps chronologique, une temporalité, spécifiée par un présent, qui se caractérise par sa permanence et sa pérennité transcendantales, qui le font disparaître aussitôt qu’il apparaît, favorisant ainsi sa méconnaissance. L’objectivation de la structure est très éphémère : elle est implicite, et l’histoire la subsume tout en la faisant oublier, en la refoulant, alors que son retour, imprévisible à l’avance, ne pourra jamais être définitivement écarté.

Aussi, en finir avec l’aliénisme, revient, à mon sens à subvertir -en les évidant par le travail critique- toutes les idéologies –fussent-elles opposées entre elles- qui mettent en avant la nihilité du vide, et refusent de reconnaître son caractère opérant, que montrent si bien les formations de l’inconscient. La négation « pollue » la conscience et perturbe la raison, exclusive de l’asphéricité. Elle dérange les aliénistes-hygiénistes, qui se soucient de réparer les dégâts causés à celle-ci par la rationalité négative, contre laquelle ils pensent qu’il est urgent de s’immuniser. Ils se mettent explicitement et implicitement, volontairement et involontairement au service de l’ordre établi et de l’idéologie dominante, dès lors qu’ils rejettent l’incomplétude inhérente à l’ordre symbolique. Le sujet négateur de l’individu, qui limite la propension de ce dernier à une infatuation exacerbée, s’avère menaçant pour les conceptions ontologiques et sphériques qui ne veulent rien savoir du désir comme effet du manque à être et de l’interdit de l’inceste. Le ratage objective et matérialise ce dernier en montrant que tout objet, convoité dans un but prédicatif, de suture du défaut de rapport sexuel, réussit à mettre au jour et à les articuler, l’incomplétude et l’imprédicativité, qui induisent l’inconscient, radicalement réfractaire à toute marchandisation et à tout marché de la guérison, qui cherchent en fait à lui « régler son compte ».La prédicativité, soutenue par le fantasme, vise à la complétude et pousse au « métalangage » en tant qu’il tente de faire échec au « défaut de rapport sexuel ». Elle soutient le réalisme qui procède de la fascination exercée par les extensions (S2) en tant qu’elles sont déliées et déprises de l’intension ou de la signifiance (S1), toujours implicite, mais omniprésente. Un tel réalisme discrédite le réel en tant qu’il concrétise la présentification de l’absence à travers ce qu’il engendre comme effets, qui le médiatisent et le matérialisent en en proposant des métaphorisations. Ainsi, ce réel, tout en confirmant et en soulignant l’incomplétude du symbolique, fait échec au « miroir aux alouettes » de ‘aliénation sociale, qui n’a de cesse de fermer le vide, alors qu’il opère comme tiers.

« La guérison, c’est une demande qui part de la voix du souffrant » (LACAN. Télévision). Cette demande, que charrie un symptôme, s’adresse essentiellement aux détenteurs de savoirs qui prétendent détenir enfin les moyens de suturer la division et d’éliminer « ce qui cloche », et qui procède du défaut de rapport sexuel et partant de l’incomplétude. Ce défaut fait écho à l’interdit de l’inceste et à l’écart irréductible entre le signifiant et le signifié, contre lequel aucun savoir, aussi érudit soit-il, ne peut rien, puisque lui-même en procède et en porte la marque. Il ne saurait affranchir de l’imprédicativité, quelle que soit la « sphéricité » savante qu’il peut proposer, et avec laquelle il peut séduire les passionnés de la complétude. Cependant, aucun savoir n’est d’emblée, ni naturellement asphérique. Sa sphéricité et ses prétentions prédicatives sont premières : elles sont nécessaires au travail d’évidement qui permettra de dégager et de mettre en valeur son imprédicativité en tant qu’elle met en évidence la dimension du réel qu’il contient, et qui reste opérante malgré tout. Autrement dit, l’imprédicativité est toujours subsumée par la sphéricité, qui la modifie et la métamorphose pour la faire oublier, selon le principe de la métaphore, laquelle permet de la retrouver aussi bien. Quant au symptôme, il interroge également le statut de la vérité, dans le sens où il tente de s’opposer à l’échappement de celle-ci en faisant appel à un savoir qui aurait le pouvoir de la maîtriser.

L’aliénation signifiante (ou symbolique) « troumatise » en perpétuant l’altération du moi par une altérité omniprésente, qui renvoie à la division subjective, fondée sur un manque, que l’aliénation sociale n’hésite pas à exclure. Elle met d’ailleurs en place tout ce qu’il faut pour que le manque soit éradiqué, et tous ceux qui le rappellent se voient mis à l’écart, pour que la prédicativité grégaire se consolide en même temps que la xénopathie. Celle-ci consiste à exclure l’inconscient comme étrangeté, portant préjudice à l’unité groupale, qui se réalise autour du partage d’une complétude ontologique, réfractaire au ratage et à la dépendance du signifiant. L’aliénation signifiante est menaçante et compromettante pour le réalisme naïf : elle le subvertit en faisant valoir la subsomption de la Chose, « tuée » par sa nomination, qui lui redonne une autre vie. Les métaphorisations, nées de cette opération symbolique, renforcent l’imprédicativité et mettent en faillite toutes les théories –même les plus « progressistes »- qui s’assignent comme objectif majeur le contournement du défaut ontologique, consécutif à cette subsomption.

L’aliénation sociale et tout son arsenal idéologique vise à éradiquer ce défaut qu’est l’imprédicativité radicale, issue de la dépendance du signifiant. Ce « défaut de rapport sexuel » bat en brèche les illusions de l’individu indivis, autonome et souverain : les quêtes entreprises par lui pour se compléter, s’avèrent vaines à suturer le manque à être. Et même si les rapports sociaux capitalistes ont participé à la libération sexuelle, ils n’ont pas réussi à mettre fin au défaut constitutif de la sexualité, qui n’a cure des normes : ni celles d’une répression et d’une oppression féroces, ni non plus celles d’une liberté totale : dans les deux cas, la négation de « ce qui cloche » porte préjudice à la subjectivité et à la singularité. Par ailleurs, annihiler le défaut de rapport sexuel, en développant des technologies de plus en plus sophistiquées, participe à la dégradation de l’imprédicativité scientifique, en laissant croire qu’un jour l’impossible sera définitivement vaincu, comme le croient les psychosés, qui compromettent et appauvrissent l’aliénation signifiante.

Pour soutenir l’aliénation signifiante, le discours analytique ne transige pas sur l’importance de ce défaut. Cette position, décriée par des « libéraux illettrés », parce que dogmatique, voire trop soumise à un «  respect iconique de Freud » (F. BENSLAMA), alors qu’il s’agit d’une position éthique, fondée sur la logique spécifique du discours analytique, fait les affaires du capitalisme, qui encense le réalisme naïf, critiqué par B.RUSSELL, et évidé par GÖDEL avec son théorème de l’incomplétude. Aussi, l’imprédicativité n’émerge-t-elle pas « naturellement» à un moment donné. Elle est toujours issue d’un travail d’évidement rigoureux et implacable, qui met en œuvre la dimension du vide et de l’écart, propre au signifiant, à propos de toute construction qui se veut prédicative, porteuse de sens. Autrement dit, la prédicativité est nécessaire et inévitable à la mise en évidence de l’imprédicativité, qu’elle contient, mais qu’elle dissimule en même temps. A ce titre, la prédicativité est une médiation nécessaire et indispensable qu’il s’agit de soutenir afin qu’elle puisse libérer ce qu’elle inclut, recèle et tait. C’est là d’ailleurs un des aspects essentiels du maniement du transfert, lequel cesse d’être associé à la « mercantilisation » du symptôme, nourrie par « la folie de guérir » et tous les charlatanismes qu’elle peut générer. Evoquer et mettre en lumière, à partir d’un symptôme, une position subjective, consiste à faire émerger un choix : celui d’un point de vue, varié et variable, permis et rendu possible par la structure subjective, qui s’énonce et s’explicite à travers une conception, susceptible de récuser l’ordre symbolique, invariant et permanent, qui la détermine, et sans lequel elle n’existerait pas. Ce dernier la protège, malgré tout, de la folie de « l’extra-territorialité », quels que soient ses liens avec l’aliénation sociale, qui prétend libérer de la soumission au primat du signifiant. Le symptôme dissimule cette position subjective, dont il s’agit de rendre raison, de manière responsable. Il fait souffrir parce qu’il se révèle incapable de se débarrasser de l’inconscient qui subvertit la « naturalité » du corps, et fait radicalement obstacle au rapport sexuel. Le défaut de complétude et de rapport sexuel provient des pulsions qui dévient les fonctions corporelles de leur assignation « naturelle ».

L’inconscient est en quelque sorte « contre-nature », et fait souffrir tous ceux qui sont tentés de se libérer de la subjectivité, propre aux êtres parlants. La mise au jour du fantasme, qui soutient un temps le symptôme, révèle l’impossibilité de la réalisation et de l’écriture de celui-là, au fur et à mesure que s’écrit ce dernier, qu’il se subjective et qu’il cesse de se réduire à refuser « ce qui cloche », et qui fait l’assise même du sujet.

En mettant en avant la souffrance, le symptôme alimente et multiplie les plaintes, ainsi que les demandes, pour éviter de s’approprier ce que le moi produit. Il les remet à tous ceux qui promettent une meilleure méconnaissance de la division subjective et de l’altérité. Tenir compte de cela, pour le subvertir en redonnant ses lettres de noblesse à la parole, qui « embrouille » et « débrouille » aussi bien, les nœuds qu’elle rapporte, peut avoir lieu et se produire dans une institution dite soignante, dès lors que chacun, à quelque place qu’il soit, et quelle que soit sa fonction, respecte ce que cette dernière draine et charrie. Considérer ainsi la parole, conduit immanquablement à une éthique hérétique, qui peut mettre à mal les orientations idéologiques de ladite institution en tant qu’elles servent exclusivement l’aliénation sociale et tentent d’éliminer à tout prix l’irréfutabilité du faux, pour déraciner le primat du signifiant, et in fine faire obstacle à la vérité. Seule la place de choix, qui est accordée à la parole, dans une institution de soin, peut éclairer la haine vouée au sujet, ainsi que l’hostilité grandissante réservée à l’ordre symbolique, lequel, en mettant en évidence le manque à être, fait enfin valoir la féminité et toutes ses conséquences quant à la virilité et à ses pouvoirs, mesurés à l’aune de l’argent accumulé, comme l’exige le fétichisme capitaliste. Grâce à la parole et à la dispute, le disensus et la signifiance reprennent leurs droits et permettent de battre en brèche tout héroïsme. Le vide, comme tiers, met en jeu l’indécidable et la radicalité de la lettre, « dédogmatise » toute construction, en la rendant évidable en même temps qu’ inévitable.

Le discours médico-psychologique infatue ceux qui croient l’incarner selon les canons et les prescriptions requises par l’aliénation sociale. Il rejette la condition de dupe de l’inconscient qui paraît humiliante aux yeux des fats, prêts à adhérer à toute forme d’aliénisme, (du cognitivo-comportementalisme à la psychanalyse dégradée en théorie psychologique) pourvu que le signifiant soit vaincu par des idéologies, dont le réalisme et le pragmatisme se voient surestimés par les rapports sociaux capitalistes, qui fétichisent et marchandisent à qui mieux-mieux, en donnant l’illusion d’annihiler et d’anéantir le primat et la détermination du signifiant. La violente hostilité contre la signifiance est dirigée également contre la rigueur logique, induite par celle-ci, et qui s’accommode mal d’un éclectisme réformiste. La pluralité et la diversité des approches n’ont d’importance que si elles acceptent d’être évidées pour mettre au jour leur refoulement de la signifiance, masqué par des sophistications bilatères, laissant accroire que le pluralisme démocratique consiste à faire échec à cette dernière. La réunion de points de vue différents, rendus possibles par la structure du signifiant, engendre, malgré leur identification par leur rejet de l’échappement -qu’ils produisent quoi qu’il en soit, et à leur grand dam- un engluement dans la méconnaissance du signifiant.

L’aliénisme ne se résume, ni ne procède uniquement de l’asile et de ses murs. Il est d’abord et avant tout lié aux discours qui se développent au sein et hors des institutions de soins. Ceux qui musèlent et étouffent la signifiance au nom d’un « désaliénisme » de façade, s’avèrent pires que ceux qui étaient enfermés dans une sémiologie réifiée et univoque des symptômes. L’inconscient, comme négation, exclut toute incarnation de l’altérité. Il rejette par là même la xénopathie, développée par les différentes formes de l’aliénation sociale, qui convoitent obstinément la fin du manque à être, que l’altérité impose en mettant en œuvre le vide, lequel imprime définitivement et irréversiblement son sceau à tous les effets qu’il engendre. Aussi, évider sert-il à réduire l’impensé en remettant en jeu le vide.

La limitation des dégâts causés par la débilité (bi-dimensionnalité exclusive), qui ne jure que par le bilatère et exclut l’unilatère, deviendra possible. Ce bilatère expansif accentue les inepties qui nourrissent le réalisme naïf. Il récuse la féminité en tant qu’elle promeut, en renvoyant à la fonction du père symbolique, le principe de présentification de l’absence, qui confirme l’interdit de l’inceste. En promettant la suture de la division subjective – (objectif thérapeutique fondamental)-, l’aliénation sociale transgresse cet interdit et contribue grandement à l‘aliénation mentale, qui encourage la psychose en tant qu’elle représente la quête forcenée d’une suture, qui se fracassera inévitablement sur le ratage, laissant, malgré tout, au sujet la possibilité de ne pas s’anéantir complètement. L’aliénation sociale, indispensable et inépuisable, porte atteinte à la subjectivité lorsqu’elle se montre délibérément déloyale envers l’ordre symbolique, dont elle procède. Elle valorise les conceptions et les fictions prédicatives et ontologiques pour renforcer la paranoïa, et l’élever au rang de la normalité, exclusive de la négation, caractéristique de l’inconscient. La séduction et l’attraction exercées par la prédicativité, prometteuse de plénitude, apparaissent comme efficaces pour faire échec à l’inconscient : tout est mis en place et en oeuvre pour rendre sa logique inaccessible -sous prétexte, par exemple d’hermétisme- qui dérange les idéologies humanistes , pourvoyeuses d’harmonie et de pacification apaisantes.. L’enlisement dans un discours bilatère, comme celui du maître, de l’universitaire, voire de l’hystérique, entrave l’accès et l’intelligibilité d’une logique qui a rompu avec le principe du tiers exclu. Et c’est parfois grâce au symptôme, lorsqu’il est bien accueilli et qu’il accepte d’être sérieusement lu et déconstruit, non sans se reconstruire à nouveau d’une autre manière, plus pertinente, ce qui était préalablement refusé. L’enlisement dans l’aliénation sociale s’atténue considérablement pour ouvrir de nouvelles perspectives. Au hasard de la parole et des énoncés produits, la rencontre (la tuche) avec la signifiance, pendant la lecture déconstructive/constructive de l’histoire individuelle, insérée dans « la grande Histoire », permet à la dimension du vide d’advenir et de battre en brèche progressivement les résistances qui valorisent le sens en tant qu’il est imputable à un « supposé savoir », identifié de façon imaginaire, à celui qui dispose d’un savoir, capable de vaincre la béance essentielle en la suturant, ou en la colmatant avec ses connaissances idéologiques, dont la valeur marchande, participe de l’aliénation sociale.

Le symptôme offre des occurrences de lectures, qui peuvent mettre en lumière l’impact « troumatisant » du symbolique sur le corps, et dont la marque définitive, le sceau ineffaçable, reste la lettre, quelles que soient les tentatives « pathologiques » diverses, qui visent à lui faire échec, en entretenant l’illusion de l’anéantir. C’est dans ce sens que s’engagent la doxa et la vulgate psychanalytiques, notamment lorsqu’elles s’acharnent à défier l’échappement inhérent à l’inconscient, en promouvant la prise de conscience (conscientiser l’insu, confondu avec ce qui échappe et donner du sens, délié de la signifiance), qui finira par faire échec à la condition de dupe de la négation, qui caractérise ce dernier, et le pérennise. Ainsi, c’est la structure du signifiant et les rapports entre énoncé et énonciation qui sont compromis. La normalité paranoïaque est renforcée en même temps que le réalisme naïf, qui confond réels et réalités et tente d’éliminer toute référence au semblant en tant qu’il représente la voie d’accès nécessaire au discours analytique. Si l’accès à ce dernier ne sautait être direct, il n’en demeure pas moins subversif : il dérange le sens de tout ce qui prétend à la plénitude pour faire émerger la signifiance grâce à la polysémie, à l’équivocité et à l’ambiguïté des énoncés. La parole est arrachée à certains discours qui la contraignent pour créer, à partir des résonances du signifiant, des raisonnements inédits et originaux, porteurs d’un autre lien social, respectueux du manque à être et de l’altérité radicale, qui le soutient en tant qu’elle consacre la mort définitive de l’être et la naissance de toute existence, fondée sur une incomplétude irréversible.

Si l’aliénation signifiante renvoie et fait valoir la castration symbolique, l’aliénation sociale, elle, use de tous les stratagèmes pour renforcer la paranoïa commune et récuser l’incomplétude, favorisant ainsi les conditions d’apparition de l’aliénation mentale, dont la finalité consiste à refouler voire à forclore la dépendance du symbolique, sans pour autant l’annihiler ou l’anéantir. La discrétion du réel, comme limite qui articule l’impossibilité (sous différentes apparences) et les possibilités (sous d’autres apparences diverses), leste la structure subjective et la protège contre les dérives paranoïaques, nourries par l’aliénation sociale, qui s’appuie sur des idéologies prônant la liberté du moi contre la dépendance du symbolique, et de son effet majeur : le manque à être, renvoie au vide fonctionnel, et est source de métaphorisations multiples et variées qui le subsument, par le refoulement secondaire, voire par la forclusion. Aussi, si l’athéisme, en concurrence avec la religion, se prévaut de suturer le vide en le dépossédant de son caractère opérationnel et fonctionnel, contribue-t-il en fin de compte au renforcement de l’aliénation sociale, en « bétonnant » la toute-puissance du surmoi, dont les injonctions et les impératifs, au service de l’infatuation du moi, font finalement échec au sujet, non sans que le moi en pâtisse en dernière instance.

Les différentes façons de méconnaître la « béance causale », compromettent toujours à terme, et quelles que soient les compensations narcissiques, les existences, porteuses du manque à être. Le retour en force de l’aliénisme, correspond à l’hégémonie de ces conceptions qui font croire que la modernité consiste à se libérer et à éradiquer toute négation, mise en jeu par le primat du signifiant, au profit d’un moi, menacé in fine d’étouffement par sa propre infatuation exacerbée. Le manque à être n’insuffle plus l’énergie qui aboutit au ratage, lequel alimente, par là même le désir, qui lui est associé. Les rapports entre les objets du désir et « l’objet a, cause du désir », renvoient au manque à être qui, soumis à la tension -imposée par la quête de la complémentarité- pousse à « jeter son dévolu», selon les directives du fantasme, sur un objet, dont la finalité dernière, consistera finalement à concrétiser le ratage : quelle que soit la jouissance atteinte, la complémentarité au service de l’unité, s’avère impossible. Elle nourrit, de ce fait, le désir en tant qu’il devient le témoin inséparable du manque à être, manque essentiel, qu’aucun objet, prétendant le colmater, ne peut tarir. Aussi, l’objet a, « cause du désir », est-il, de cette manière, mis en exergue, par l’impossibilité de tout objet d’apporter la complétude, sans pour autant précipiter, à cause du défaut de rapport sexuel, un cynisme de style « àquoiboniste », typique des non dupes de l’inconscient, qui récusent l’indécidabilité, inhérente à l’indestructibilité du désir. Ainsi, ils croient « dépolluer » la conscience et sa raison de la logique de la négation que draine constamment l’inconscient. Domestiquer (« dhommestiquer » LACAN) celle-ci en la pervertissant par des significations psychologiques est l’œuvre d’hygiénistes, qui n’hésitent pas à considérer que l’inconscient ressortit à « l’animalité » de l’humain, au point que les pulsions sont prises pour l’instinct, qu’il s’agit de « civiliser ». Ce souci, soutenu par des idéologies humanistes, parfois opposées entre elles, conduit au pire, sous prétexte de « purifier » le moi de l’inconscient qui le pollue, mais qui s’avère en fin de compte, nécessaire à sa propre existence. Ce type d’hygiénisme et de « purification » de la raison classique, est  pathognomonique  de l‘aliénisme médico-psychologique que l’aliénation sociale ne cesse de renforcer et de développer, au nom d’un humanisme qui se donne comme objectif d’arrêter la « pollution », liée à l’inconscient, et au manque à être, imputés non plus à la structure subjective, mais à des « boucs émissaires », qu’il faut à tout prix évincer, voire éliminer. Dans un tel contexte, le nazisme passerait aussi pour de l’humanisme, à côté de l’existentialisme sartrien, par exemple. Même s’ils s’opposent l’un à l’autre, ils puisent tous deux aux mêmes fondements théoriques. L’objectif majeur consiste toujours à se libérer de la dépendance du signifiant et de l’ordre symbolique, pour enfin vaincre définitivement le manque à être, qui reste déterminant de l’unité du parlêtre, dont toutes les formes de paraître, confirment en fait, l’indépassable « parêtre » (LACAN) (être à côté de l’être).

Enfin, je ponctuerai mon propos en empruntant ces lignes à Stefan ZWEIG, qui écrit dans « La confusion des sentiments » : « Et ainsi, moi qui ai employé toute une vie à décrire les hommes d’après leurs œuvres et à objectiver la structure intellectuelle de leur univers, je constatais précisément sur mon propre exemple, combien reste impénétrable dans chaque destinée le noyau véritable de l’être, la cellule mouvante d’où jaillit toute croissance ».

 

 

Amîn HADJ-MOURI

18/01/18

 

 

 

 

 

 

 

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