LE HIRAK ALGERIEN : UN NOUVEAU « COUP D’EPEE DANS L’EAU » ! Toute politique exclusive du sujet est grosse de totalitarisme

 

« Je pense où je ne suis pas, donc je suis où je ne pense pas. Je ne suis pas, là où je suis le jouet de ma pensée. Je pense à ce que je suis, là où je ne pense pas penser. » (LACAN)

 

« La plus grosse des « conneries », c’est de ne pas profiter des multiples possibilités et occasions de dire et d’écrire toutes les « bêtises » relevant ou non du sens commun, et qui peuvent s’avérer intéressantes après-coup. » (Propos d’analysant)

 

Il en va des sociétés comme des individus ! Si cette comparaison s’appuie sur des analogies, elle présente bien des limites et ne saurait être ni totale ni exhaustive. Elle ne signifie aucunement une identification complète entre les unes et les autres. Elle soutient cette question : comment des mouvements de masse, lors de leur émergence et de leur affirmation, peuvent-ils accorder une place au sujet et à la subjectivité de telle sorte que leur amplification ne se pervertisse pas en une résistance à l’inconscient, aussi terrible que celle dont font preuve leurs opposants, auxquels ils finissent par s’unir, dans un même rejet du sujet ?

Ce qui échappe est partagé par tous et tout un chacun : il réunit tous les « êtres parlants » ou sujets sans exception. Il assoit leur communauté qui intègre la singularité propre, en faisant de l’hétérogénéité la base de l’homogénéité globale. En faisant valoir ce qui échappe et constitue son entendement, le « collectif » défait et supplante l’organisation groupale et tous ses mécanismes identificatoires imaginaires, inhibiteurs, voire sclérosants. Il advient et s’impose lorsque l’hétérogénéité est incluse et complètement intégrée au sein de l’homogénéité, au point d’entrer dans sa constitution-même. Ainsi l’une devient inconcevable sans l’autre, et inversement.

Lorsque des rapports sociaux sont en crise, des symptômes se déclarent, mais leurs clarifications et leurs élucidations convoquent des lectures et des interprétations recourant à des discours dont les différences masquent mal la fascination exercée par le bilatère. Cette dernière consiste à résister et à démentir la subjectivité, entravant ainsi l’accès à toute intelligence nouvelle et inédite des symptômes présentés. Aussi peut-on se demander à raison –mais de quelle raison s’agit-il ?- quelles sont les causes qui conduisent un mouvement de protestation aussi important et légitime, à bafouer la subjectivité, alors que les conditions sociales et politiques semblent propices à sa prise en compte et à l’intégration des dimensions qu’elle implique dans des analyses pouvant le soutenir et le « nourrir » ? Pourquoi des soulèvements de grande ampleur finissent-ils -bien souvent- par illustrer et donner corps à l’image de « la montagne qui accouche d’une souris » ? La raison qu’ils mobilisent et qui peut compromettre l’intelligibilité de la situation socio-politique générale, empêche bien souvent de prendre le recul suffisant pour accéder à un autre point de vue et à une autre raison qui libéreraient de l’impasse imposée par le seul discours du maître, élevé au rang de paradigme de la pensée moderne en tant qu’elle consolide l’occultation de la subjectivité à partir de laquelle les principes de la raison classique, comme « l’objectivité » -considérée comme seule valable et indiscutable sous prétexte qu’elle est commune à tous-, peuvent désormais être interrogés au titre de présupposés, et non de donnés définitivement établis, susceptibles dorénavant d’ouvrir la voie à des avancées intellectuelles audacieuses. Ainsi, si l’inconscient détermine la métapsychologie freudienne, la sous-tend et la soutient, c’est parce qu’il met en œuvre une raison et une logique qui, tout en interrogeant ce qui échappe et perturbe ou trouble le discours du maître, confère tout de même à celui-ci sa nécessité. Même s’il tend à faire de la paranoïa le nec plus ultra de la « modernité » en tant qu’elle guide et pousse à investir –affectivement- des conceptions, et autres idéologies, qui l’amplifient et la renforcent, ce discours s’avère indispensable pour mettre au jour l’altérité constitutive de la subjectivité, qu’il recèle, contient, voire enferme. Cette paranoïa réunit des partisans qu’elle organise et répartit en camps opposés qui se livrent bataille pour faire triompher des conceptions rivalisant d’ « hontologie », laquelle assène- sous le prétexte fallacieux de récuser et de conjurer le « défaut de rapport sexuel »-, les pires affronts au sujet, c’est –à-dire à l’altérité fondatrice de la subjectivité.

Contre ceux et celles qui lisent de façon univoque et unilatérale le corpus musulman, font front et s’affrontent ceux et celles qui considèrent que la science est un meilleur « bouche trou » du réel que le « bouchon divin », d’autant qu’ils croient disposer de savoirs divers, dont la maîtrise quant à la prédicativité et à « l’assurance » ontologique leur semble indubitablement « progressiste ». Ces savoirs prétendent s’identifier et se confondre avec la vérité. Ils renforcent les positions paranoïaques qui occultent tout point de fuite du réel mis en jeu et en scène par toute prise de parole, qu’elle soit orale ou écrite : le réel reste indéfectiblement attaché à tout énoncé quels que soient les prouesses fantasmatiques exhibées pour s’en affranchir. Mis en avant par de nombreux matérialistes réductionnistes qui se moquent du « motérialisme » nominaliste, ces savoirs « idéologisés », au service de l’ontologie, visent à convaincre en imposant la croyance que le sujet, renvoyant à l’altérité constitutive de tout « être parlant », n’intervient d’aucune façon dans les choix de positions théorico-intellectuelles. Dans un tel contexte qui dément et dénie la subjectivité, il ne reste plus qu’à attendre le « mûrissement » ou la maturation « naturelle » des masses, qui ne disposent pas encore des moyens intellectuels adéquats pour saisir la chance qui leur est offerte. Pourtant elles ne cessent pas de montrer qu’elles sont capables de faire des choix qui ne sont manifestement pas ceux qu’attendent tous ceux et toutes celles qui leur veulent du bien. Un exemple pathognomonique du verbiage progressiste nous est offert par Etienne BALIBAR quand il écrit savamment : « Le racisme en tant que tel est un phénomène permanent dont le retour périodique traduirait l’incapacité des sociétés à progresser du point de vue de la civilisation, ou leur dépendance insurmontable par rapport à des structures archaïques de la mentalité collective ». (« Construction du racisme. Actuel MARX. PUF. 2005). Les « progressistes », mus par un humanisme aussi généreux que totalitaire, sont sous la coupe de la paranoïa individuelle, propre à chacun ( e ) , engagé (e ) dans une quête ontologique sans merci, camouflée cependant par le partage avec d’autres, démunis de moyens adaptés, et notamment intellectuels, pour y accéder. Comme s’ils ne disposaient pas du savoir essentiel qu’apporte la subjectivité, dès lors que le statut d’ « être parlant » est confirmé par la dépendance irréversible du symbolique. Le rejet de ce savoir fondamental, à la disposition de tout « être parlant », aggrave l’enlisement du discours du maître qui met au grand jour l’impasse à laquelle il conduit en refusant le passage à un autre discours, pouvant engager une autre raison. En intégrant désormais le sujet, cette dernière fait échec aux idéologies subordonnées aux discours dont le caractère univoque et bilatère empêche tout dépassement des points d’achoppement qu’ils procurent. Leur déconstruction, censée apporter leur élucidation, favorise par là même la possibilité de basculer dans un autre entendement, qui consacre implicitement la négation en tant qu’elle témoigne de l’inconscient.

Quelles sont les hypothèses à élaborer pour accéder à une intelligence de choix dont les conséquences aggravent après-coup le discours qui était préalablement critiqué voire vilipendé ? Quels éclairages pertinents et cohérents pourraient être proposés pour comprendre des décisions qui, en regroupant des masses importantes, risquent tout de même de mener –par des dévoiements de passages et de dépassements– à des conceptions de plus en plus fascistes, comme celles qui ont eu lieu et marqué la lutte des classes en Algérie durant la « décennie noire » ? (Cf. mon article : « Se poser, sans marquer de pause pour mieux s’armer intellectuellement…et politiquement », publié dans le quotidien francophone d’Alger, EL WATAN du 10/09/2019).

Les adeptes les plus chevronnés du discours du maître, sous ses versions apparemment opposées mais fondamentalement identiques, verrouillent et sclérosent le débat en le « cadenassant » dans une sphéricité stérile et mortifère. Si le Hirak procède et émane de la lutte de classes qui sévit en Algérie, comme dans toutes les sociétés actuelles, dominées par le capitalisme et ses différentes versions, ses multiples expressions et manifestations exigent des lectures cohérentes et rigoureuses, censées tenir compte du réel qui ne cesse d’être démenti et dénié par les réifications de la plus-value, matérialisées par la maximisation et l’accumulation de profits, consolidant par là même les idéologies ontologiques, pourvoyeuses de grégarité d’un côté et de ségrégations de l’autre.

Mythifié pour faire passer au premier plan la quantité, à savoir le nombre de manifestants (es), au détriment des discours et des conceptions qui y ont cours, sans que leurs fondements théoriques et politiques soient interrogés et mis au jour, le hirak participe à des effusions nationalistes, grosses de chauvinisme qui aggrave la paranoïa, devenue paradigme de l’identification imaginaire des groupes ou des masses, organisées de telle sorte que toute trace de singularité se voit abolie. L’identification de masse, confortant la paranoïa de chacun (e), fait échec à tout collectif qui tiendrait compte de la singularité en tant qu’elle fait valoir le vide par tous et toutes qui l’expriment chacun et chacune à leur manière, sans pour autant que la diversité et les divergences ne forclosent ce fondement « abstrait », qui n’est concret que par les effets qu’il induit.

Comment mettre en oeuvre une telle rationalité pour battre en brèche la raison bilatère, porteuse de « débilité », qui empêche de bien lire les idéologies et les fictions produites, afin que des questions nouvelles, voire inédites se dégagent des pièges du bilatère et de la raison duale, permettant dès lors de formuler et écrire correctement, donnant ainsi naissance à des réponses confirmatrices de la rupture avec cette dernière. La complexité, au-delà de ce qu’en dit Edgar MORIN, provient inévitablement des résistances farouches que les constructions bilatères, certes indispensables, opposent à l’émergence de l’unilatère qu’elles recèlent en leur sein, et qui peut émerger à la faveur de contingences, décisives pour sa mise en évidence. La complexité procède bien souvent des théories prédicatives à visée ontologique qui s’ingénient à imputer à l’unilatère une complexité imaginaire provenant de son caractère abstrait qui, pourtant ne cesse pas d’engendrer des effets on ne peut plus concrets. Ainsi, il met en valeur la lettre en tant qu’elle démystifie cette complexité, qui procède en vérité du bilatère et de ses prouesses pour mieux l’évincer, parce qu’il met en jeu la négation, promue et mue par l’inconscient, c’est à dire cet Autre dont la barre qu’il porte, assure l’existence du sujet. Définitivement divisé dans ses relations tant avec lui-même, avec les autres et avec les objets, le sujet prend part à la constitution d’un monde, dans lequel les multiples rapports élaborés finissent par confirmer le ratage qui les fonde et les construit.

La politique se réduit alors à entretenir les différentes chimères de la prédicativité promettant une garantie ontologique que le capitalisme- sous ses formes différentes, du plus sauvage au plus néo-libéral, ne cesse de fétichiser outrageusement en convainquant qu’il est le seul et unique mode de production qui dispose des moyens les plus efficaces pour en finir avec « le défaut de rapport sexuel », congruent du «  manque à être ». La haine vouée à la castration symbolique, atteint son paroxysme et développe une « chasse aux sorcières », dont la férocité est proportionnelle à la fascination qu’exerce la paranoïa « hommosexuelle », consolidatrice de l’identification imaginaire de masse, mise au service de l’exclusion du sujet. Les divers échecs de mouvements de protestation et de contestation, d’autant plus qu’ils sont importants en nombre, doivent inciter à enrichir les lectures qu’ils induisent des dimensions qu’ils méconnaissent habilement, pour finir par entraver l’accès à une intelligence qui se contente d’identifier la situation générale à une impasse indépassable. Tout se passe alors comme si le savoir inhérent à la dépendance du symbolique et à la mise en place de la structure du sujet devenait d’une opacité extrême et d’une inefficacité totale, surtout si le salut est attendu de la part de nouveaux savoirs, encore plus exclusifs des apports que la structure du sujet impliquent et offrent à tout un chacun, sur fond de « défaut radical de rapport sexuel ». Les tendances perfectionnistes totalitaires n’ont plus rien à voir avec celles qui respectent ce dernier. Elles dissocient le narcissisme, fondé sur le « manque à être » qu’il recèle, de la paranoïa qui désarticule les rapports d’Eros et de Thanatos, au point de faire triompher la mort comme terme ultime du combat qu’elle livre contre ce « défaut de rapport sexuel » (castration symbolique), pourtant à la base et à l’appui de la civilisation. Ces tendances constituent la paranoïa courante, à l’œuvre aussi bien dans les cures, comme redoutable résistance à l’inconscient qui entrave la parole engagée dans les « associations libres » tout en dévoyant le transfert.

Les discours finissent par se scléroser en raison de leur acharnement à garantir, en même temps que leur prédicativité, une ontologie certaine à tous ceux et à toutes celles qui y adhèrent dans le but de ne rien vouloir savoir de la subjectivité et des positions que la structure de celle-ci leur prescrit. Mais la subjectivité a beau être refoulée et contenue, elle demeure « secrètement » active et implicitement déterminante en tant qu’elle dicte en dernière instance tout choix théorique, et partant politique. La sclérose de tels discours procède l’exclusion de la tiercéité inhérente à la parole qui renvoie à la structure du sujet, laquelle ne peut plus s’accommoder d’une dialectique duale, fondamentalement dévoyée et au service d’une psychotisation des rapports sociaux, de plus en plus forclusifs de la singularité. Cette tendance forclusive de plus en plus affirmée induit des « crises » plus ou moins graves qui secouent souvent ces derniers, et dont les remèdes consistent à substituer une conception prédicative, considérée dorénavant comme inepte, par une autre qui a le vent en poupe, grâce au recours à des arguments ontologiques plus convain-cants, surtout s’ils sont l’œuvre de savants qui entretiennent allègrement la confusion entre le savoir et la vérité, par identification de l’une à l’autre. Lorsqu’un « consensus » se dégage et s’impose sur fond de contestations et de protestations communes, mues par des sentiments partagés, il reste à mettre au jour les analyses qui accompagnent ces mouvements affectifs, et partant le « discord » qui les détermine au-delà des divergences idéologiques, qui mettent en avant un modèle de causalité, nourri par la quête et la conquête ontologiques, associées à la toute-puissance attribuée aux pouvoirs politique, militaire, économique, etc…, qui font croire qu’ils disposent de moyens infaillibles pour venir à bout de la faille structurale du sujet. Le monolithisme ontologique développé par toute idéologie est un dogmatisme qui est à l’œuvre derrière la polyphonie des conceptions soutenues par des fantasmes individuels, dévoyés en instruments au service de l’humiliation du sujet. Tout discours implique, pour le moins, une position subjective qui peut s’obstiner et s’enferrer dans le rejet et l’exclusion du sujet en tant qu’il met en jeu une altérité constitutive du moi. La structure du sujet admet de telles positions qui, par démenti de l’ordre symbolique, peuvent déboucher sur un anéantissement existentiel, ou bien au contraire des tentatives de libération de discours dont la charge ontologique est telle qu’ils empêchent toute ouverture et toute élaboration de problématiques fécondes. Aussi le symptôme qui tend à « fétichiser » certaines illusions ontologiques, sert-il, grâce à la libération d’éléments qu’il recèle, à cette construction inédite qui indique un début de changement d’entendement et de rationalité, indispensable au changement de discours. Chaque fois que des indices de ce dernier se manifestent, cela signifie que ce principe logique essentiel est à l’œuvre, à savoir : « un signifiant ne peut pas se signifier lui-même » ! Su, mais enserré et bridé par la méconnaissance, il peut faire l’objet d’une transmission qui lui restitue toute sa valeur au profit du sujet. Il est à la base de différentes écritures qui ont le mérite d’admettre plusieurs lectures auxquelles s’appliquent diverses orientations, toujours dépendantes de la structure subjective et de son incorporation par chaque être parlant, et par tous. L’accès à une nouvelle rationalité, à un nouvel entendement accompagne le changement de position subjective, dont le choix est déterminant pour formuler un questionnement et proposer son élucidation. Pas de tâche intellectuelle sans implication d’une position subjective et de sa façon de tenir compte du sujet ! Ainsi, le vide finit toujours par avoir le dernier mot pour faire vivre la lettre, laquelle devient la pierre angulaire de « lalangue ». Cette radicalité à l’œuvre dans le discours analytique n’a rien à voir avec les illusions de pureté qui poussent les idéologies à promettre des prédicativités, passant par la l’accaparement et la mainmise sur des objets idéalisés garantissant une ontologie sans faille.

Si « L’amour est une mise à feu de l’être » et « Aimer, c’est essentiellement vouloir être aimé » (LACAN), l’enjeu capital consiste à redéfinir l’amour en le rapportant au primat de la condition d’être parlant que LACAN formule en ces termes : « dans la perspective freudienne, l’homme, c’est le sujet pris et torturé par le langage », tout en précisant que « la fonction du langage n’est pas d’informer, mais d’évoquer ». Ainsi, l’amour finit-il selon LACAN par consister « à offrir quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Alors que le dogmatisme idéologique à visée ontologique donne libre cours à la prédicativité exclusive et mortifère, la radicalité du discours analytique, elle, tâche de préserver la faille constitutive du sujet en articulant et en rapportant l’existence à l’objet a, qui « cause le désir » en même temps qu’il l’articule au « manque à être » comme effet essentiel de la lettre, dont le sujet porte à jamais le sceau. Ce sceau est celui de l’interdit de l’inceste que l’articulation signifiante représente en mettant en évidence qu’aucun signifiant ne peut se signifier lui-même. Cette impossibilité fonde aussi bien le sujet qui procède de cette articulation métonymique, propice à des métaphorisations évoquant différentes positions subjectives dont le choix est rendu possible par la fonction et la structure signifiantes.

Le « blocus », savamment érigé contre la subjectivité et ses dimensions propres par les tenants d’un « progressisme » béat, est mu par une passion dévorante, un amour mortifère pour toute promesse de prédicativité, enfin capable de mettre fin –et violemment si besoin- à la faille inhérente à la subjectivité. Aux confusions courantes et fréquentes concernant celle-ci, quelques idéologies bien intentionnées font suite pour faire place nette et mettre un terme à la patience de tous ceux qui souffrent sans percevoir clairement les causes réelles de leur état, toujours occultes et opaques. Elles s’accaparent de cette faille et démentent la structure qui la fonde en l’imputant explicitement à des « barbares » dont l’élimination –sous quelque forme que ce soit- apporterait un bénéfice et une libération enfin mérités à ceux qui comprennent maintenant les raisons de leur souffrance. L’altérité, réduite à sa projection et à son identification à l’image de l’autre, exclut l’Autre et bafoue le sujet en éliminant la logique hétérogène qu’il promeut. Dans un tel contexte, les schémas simplistes consacrent des rapports de causalité d’autant plus obscurs et opaques qu’ils se présentent comme faussement anxiolytiques, surtout s’ils libèrent une agressivité et une violence « épuratrices », autant de l’autre que de l’Autre. Soutenus et développés par le discours de l’universitaire, ils renforcent celui du maître, réducteur de la vérité, afin de mieux asseoir la paranoïa individuelle. Il ne peut connaître qu’une seule issue : le discours de l’hystérique et son destin, souvent hasardeux voire dramatique, tant il contribue à l’exclusion du sujet, tout en laissant accroire qu’il lui accorde un certain intérêt.

Malgré l’indépendance acquise durement il y a presque 60 ans, l’idéologie dominante en Algérie, constituée de conceptions différentes voire opposées, s’est concentrée à renforcer le discours du maître, que le colonialisme a réussi à implanter malgré ses méfaits, crimes et exactions, qui niaient la subjectivité au nom de théories bilatères provenant de discours médico-scientifiques, comme le montrent à foison les travaux de l’Ecole psychiatrique d’Alger, dont le fondement bilatère est toujours à l’œuvre dans les théories psychologico-psychiatriques qui font florès en Algérie, en maintenant toujours –et de façon oppressive- sous le boisseau toute référence à la subjectivité, au sens freudien du terme. La lutte pour l’indépendance aurait pu laisser croire qu’elle pouvait libérer de l’emprise du discours du maître et de l’hégémonie du bilatère. Or elle s’est vue soutenue par des théories et des conceptions ontologiques fondamentalement identiques -quant à leur raison et leur entendement- à celles qu’elles étaient censées combattre et mettre en défaut. Autrement dit, c’est sur les mêmes bases ontologiques, qui réservent l’exclusivité au bilatère, que cette lutte s’est déroulée. Elle a accumulé au nom de la libération du colonialisme toutes les tares théoriques et anthropologiques (l’ontologie par l’identité imaginaire, clivée et déliée du « manque à être »), qui ont mis à mal les rapports entre la diversité et l’homogénéité en tant qu’elle comprend l’hétérogène qui bat en brèche les illusions identitaires « uniformisantes » et totalitaires, charriées par le discours du maître et tous ses alliés (universitaire et même celui de l’hystérie) qui ne veulent rien savoir du sujet comme négation de l’individu, conçu comme une entité unie et totale, indemne de toute altérité portant atteinte à son intégrité et à son intégralité. Piégé par les idéologies constitutives du colonialisme dont le « traumatisme » généralisé fait croire qu’il détient la toute-puissance pour obturer le « troumatisme » inhérent à la condition d’être parlant, et ainsi apporter à ceux et celles qui s’identifient à lui, croyant même l’incarner, la victoire contre la castration symbolique, considérée comme une tare ontologique désormais réservée aux seuls (es) dominés (es) et exclus (es) de cette même condition. Ainsi, au lieu de l’approfondissement propice à la déconstruction subversive du discours du maître, c’est bien lui qui se voit préservé et consolidé au profit de la paranoïa, associée aux différents projets ontologiques, apparemment différents et/ou opposés. La littoralité qui se concrétise par le passage d’un discours, enlisé dans le bilatère, à un discours qui tient compte –plus ou moins explicitement- de l’unilatère, repose en fait sur la valeur octroyée au vide, que la tiercéité de la parole met en œuvre. Celle-ci fait valoir dans l’échange entre interlocuteurs la dépendance de chacun à l‘ordre symbolique qui lui confère dès lors le statut de sujet. Ce statut est partagé par tous sans pour autant annihiler leurs différences dont l’importance réussirait à occulter leur identité, inhérente à leur ancrage indéracinable dans le symbolique en tant qu’il met en évidence et en valeur le « manque à être ». Aussi une des questions légitimes et importantes à poser, concerne-t-elle la mobilisation des affects impliquant l’ « hainamoration » en tant qu’elle représente la matrice de laquelle procèdent les facteurs de valeur qui mettent en jeu la structure du sujet. Ainsi, si l’amour assure «l’insuccès de l’inconscient », la haine y contribue tout autant en renforçant le bilatère qui rend le symptôme encore plus encombrant et étouffant. L’amour comme la haine fait obstacle à l’avènement de l’unilatère qui les détermine, et sans lequel l’un comme l’autre ne sauraient être définis comme affects.

Une subversion efficiente doit se donner les moyens théoriques adéquats pour que la rupture avec le bilatère ne signifie pas son éradication au profit d’un unilatère « sacralisé », alors qu’il dépend nécessairement de lui. Aussi une telle subversion n’a t-elle rien à voir avec les idéologies issues du lacanisme, lesquelles n’ont cessé de déconsidérer et de prendre en mauvaise part l’imaginaire. Alors que ce dernier a la même importance dans la structure du sujet, et la même homogénéité que les deux autres dimensions : le symbolique et le réel. En effet, quelle que soit sa force de résistance, il permet à un moment donné, au niveau des fictions auxquelles il contribue, d’accéder au symbolique, dont l’incomplétude met au jour le réel qui met au jour l’échappement, en jeu depuis le début des énoncés et de plus en plus concret au fur et à mesure des élaborations induites par ces derniers. La lettre est l’assise implicite du bilatère qu’il dévoile lorsqu’il crée l-par son propre déploiement- les conditions du passage vers l’unilatère. Ainsi, elle prend par à la littoralité en faisant valoir le vide qui la soutient et qu’elle « motérialise ».Sa congruence avec l’objet a implique que le désir est toujours médié et médiatisé par un objet qui, malgré les tours et les biais que lui imprime le fantasme, rate le « rapport sexuel ». La lettre favorise la rupture –par dépassement- avec les idéologies qui privilégient la dialectique à deux termes et exclut le tiers. Avec le troisième terme qui fait valoir la présentification de l’absence et met en évidence l’effectivité du vide, qui ne signifie pas le néant ou le rien, la lettre prend toute son ampleur pour promouvoir le signifiant sans qu’elle se confonde avec lui, alors qu’il y introduit en assurant sa place implicite tout en s’en distinguant. Elle permet à l’écriture de conjoindre le « bien dire » et participe ainsi à la création poétique que le signifiant favorise et facilite, dès lors qu’il lui est impossible de se signifier lui-même. Il en est de même pour le semblant qui est aussi une médiation nécessaire, constitutive de toute réalité, de laquelle émerge et échappe le réel en tant qu’il fait échec à la prétention omnipotente d’énoncés sphériques ou bilatères qui ne veulent pas savoir qu’une proposition peut être aussi fausse que celle qu’elle contredit et s’inscrit en faux contre elle.

 

DESIR : LETTRES DE NOBLESSE DU SUJET, PORTEUR A TOUT JAMAIS DE SA LETTRE DE CREANCE.

 

Le désir qui subordonne et infère tout objet à l’objet a en tant qu’il le cause, démystifie les différentes impasses que les théories ontologiques bâtissent sur la base de « l’avoir pour être ». Il confirme que la lettre et son impact décisif sur les objets en tant qu’elle met en lumière leur valeur d’échange, tout en ne reléguant pas leur valeur d’usage, est capitale pour l’ « ex-sistence ». Il prescrit une fois pour toute que quoi qu’on ait, on n’est pas ! Aussi, la lettre met-elle un terme définitif à la « jouissance toute », devenue impossible pout tout « être parlant ». Et quoi qu’on prétende avoir et/ou s’approprier, n’éliminera d’aucune façon le « manque à être », indispensable à l’existence. Les divers pervertissements du désir se manifestent à travers les affirmations identitaires imaginaires qui affirment un être en niant qu’il procède de sa négation ou le non-être, inhérent à la condition décisive d’être parlant. L’accaparement d’attributs culturels, ethno-confessionnels sont d’autant plus rassurants que l’identité imaginaire ne cesse d’être mise en doute à telle enseigne que face à ce qui la perturbe intrinsèquement est projeté à l’extérieur et se dégrade en persécution proportionnelle à la paranoïa que cette identité installe, au détriment de celle procède de la condition d’être parlant qui surdétermine toutes les constructions ontologiques vouées à anéantir le « manque à être », à l’œuvre dans les ratages propres aux relations objectales qu’animent et déterminent les pulsions.

Il n’y a pas de secret (s) ni de mystère (s) de la structure subjective : sa finitude ou son achèvement se caractérise et se spécifie d’un inachèvement qui assure son ouverture sur le transfini en tant qu’il consacre le vide toujours opérant, qui s’oublie derrière ce qu’il produit comme effet (s) le métaphorisant puisqu’il est insaisissable comme tel. Tout acte (de parole) qui favorise le passage au symbolique en tant qu’il met en évidence une incomplétude essentielle, est considéré par la paranoïa ambiante, véhiculée par diverses idéologies, comme offensant et violent, justifiant par là même une réaction d’autant plus agressive. Cette dernière renforce en vérité la débilité sous-jacente qui ne supporte pas la tiercéité. Exclusives de cette dernière, les idéologies recourent à des savoirs d’autant plus hétéroclites –sous couvert de pluridisciplinarité- pour mieux entretenir les illusions ontologiques, et surtout, pour mieux laisser accroire qu’elles disposent de moyens infaillibles pour vider de sa substance l’ordre symbolique, lui qui assure les métaphorisations du vide qui leur échappe. C’est pour cette raison impérieuse qu’elles sont « déconstructibles », et certainement pas promises à une quelconque éradication faisant place nette à une fiction (extensions /S2) prétendument purifiée et/ou épurée.

Un commentaire est digne de la construction qui l’a généré, lorsqu’il met au jour ce qui y est contenu et maintenu insu en vue de l’enrichir et d’ouvrir de nouvelles interrogations en tant qu’elles témoignent de l’inévitable polysémie et équivocité dues à la fonction signifiante. Se libérer du colonialisme ne signifie nullement se libérer du discours du maître mais peut favoriser l’avènement d’un autre discours qui subvertit sa domination sans partage, d’autant qu’il trouve du soutien auprès d’autres discours exclusifs du sujet.

 

Pousser le bilatère à déployer les énoncés qui renferment et recèlent nombre de questions qu’il s’agit de formuler –au moins pour certaines d’entre elles- de la manière la plus explicite possible, sans s’obstiner à invalider ou à disqualifier les faits rapportés par les uns et par les autres, mais surtout pour mettre en évidence que ces rapports ou relations qui procèdent de choix théoriques, impliquant des positions subjectives, c’est à dire des positions déterminées par la structure de la subjectivité à laquelle est soumis tout « être parlant », désormais incapable de la supplanter, quels que soient les pouvoirs réels et/ou imaginaires qu’il s’attribue ou qu’on lui décerne. Même les psychotiques qui accusent la forclusion de cette structure ne s’en libèrent pas pour autant. Ils luttent contre elle en vain, et ne parviennent à la mettre en échec que par le biais de leurs symptômes à visée totalitaire.

SI LA POLITIQUE SE DEFINIT PAR SA RESISTANCE ET SON REFOULEMENT DE LA SUBJECTIVITE, ALORS ELLE VERSE DANS UNE GRAVE PSYCHOTISATION DE LA SOCIETE : « LE BOUT DU TUNNEL » N’EST DES LORS PAS PRÊT DE POINDRE !

« Chassez le totalitarisme colonial par la porte, il reviendra un jour par la fenêtre, même si on croit s’être débarrassé définitivement de lui. Il procède de discours qui ont toujours cours et qui plus est, ont contribué à le combattre». (Réflexion issue d’une séance de travail de cartel analytique)

Les séquelles pernicieuses du colonialisme français auquel les peuples algérien et tunisien ont eu affaire, de façon à la fois commune et différente, persistent encore malgré, ou plutôt à cause de la victoire remportée sur lui. Pour combattre à juste titre ce régime inique, appendice du capitalisme, de nombreuses raisons pouvaient être invoquées, des plus explicites aux plus implicites, en fonction des lectures qui pouvait en être faites. Ces lectures ou ces interprétations reposaient et reposent encore sur des choix théoriques et idéologiques contenant des raisons qui renvoient inévitablement à la subjectivité, c’est à dire au statut de sujet que confère la condition d’être parlant, dont la parole, quelle que soit la langue qu’elle utilise, rend compte de l’échappement du réel, lequel échappement est partagé par toutes les constructions qui finissent par le mettre ainsi en évidence, en donnant naissance par exemple à de nouvelles questions, alors qu’elles se présentaient closes. En effet, aucune fiction, aucune théorie scientifique ne peut se prétendre capable de supplanter ce qui est à sa source et la conditionne, à savoir sa détermination signifiante qui l’empêche radicalement de dompter et de maîtriser un réel qu’elle engendre elle même dès lors qu’elle révèle son impossibilité d’apporter une réponse totale et définitive au problème qu’elle soulève, et qu’elle formule d’une certaine façon. La science se soucie de bien nommer pour favoriser l’ouverture à d’autres questions qui participent à l’élaboration d’une ou des réponses possibles. Cette ouverture, rendue possible par la détermination signifiante, inhérente à la condition d’ « être parlant » démystifie le savoir dont les risques totalitaires entravent la démocratie à laquelle il est souvent identifié en tant qu’il en représente la voie d’accès exemplaire. Acquérir tous les savoirs possibles et imaginables, produits par des êtres parlants sous toutes les latitudes ne doit pas conduire à croire que ceux et celles qui les accumulent sont désormais libérés de leur condition d’êtres parlants.

Les pseudo-scientifiques utilisent la science comme « bouche-trou » ontologique, tout comme les islamistes Dieu pour en faire un instrument au service de leur paranoïa, laquelle représente une des résistances les plus tenaces à la subjectivité, d’autant plus qu’elle se « masse-médiatise » à merveille. Elle était déjà à l’œuvre au sein même du colonialisme français qui, par dessus le marché, se targuait d’incarner les Lumières et d’apporter le progrès à des ignorants, qui ne l’ont pas attendu pour organiser leurs propres rapports sociaux, avec les moyens matériels et intellectuels dont ils disposaient alors, conformément à leur dépendance du symbolique, qui admet de multiples façons d’en rendre compte, même si c’est pour la contrarier, voire la mettre en échec. Le refoulement de la subjectivité, omniprésente par le biais du symbolique, est contagieux : La toute-puissance qui lui est conférée par les pouvoirs exorbitants dus aux connaissances, était exhibée à « tout bout de champ », laissant même accroire qu’il avait les moyens d’amputer les Algériens (nes) de leur être dans la mesure où il détenait toutes les forces (militaires, techniques, scientifiques…) qui assuraient son implacable domination. L’identifier à cette toute puissance qui entretenait l’illusion qu’il avait les moyens de libérer ses affidés de leur carence ontologique, a infesté idéologiquement le combat mené contre lui, et l’a enfermé dans une problématique ontologique, dont on paie le prix encore de nos jours. La lutte pour l’indépendance prenait la signification d’une restitution d’un « être algérien » bafoué et exploité honteusement, voire déshumanisé, qu’il fallait réhabiliter et sauver en lui faisant recouvrer son honneur, sa grandeur et sa fierté, en oubliant cependant de rappeler que le colonialisme- aussi fort soit-il ne pouvait lui retirer son ancrage indéfectible à la condition « d’être parlant » qui signe déjà sa grandeur. Les définitions différentes de cette problématique ontologique renvoyaient à des conceptions diverses, voire opposées qui avaient cours dans les idéologies locales : même si l’argument « être algérien », outragé par les infidèles anti musulmans était largement partagé, il n’en demeure pas moins que la lecture qui renvoyait le colonialisme au capitalisme et à la lutte des classes, n’emportait pas toujours les mêmes conséquences, d’autant que des Français –et pas des moindres, de confessions religieuses déclarées ou non- approuvaient le combat mené contre lui par un peuple, dont les leaders et les détenteurs du pouvoir exécutif n’ont pas facilité l’advenue de telles questions, tant ils étaient enserrés dans des carcans idéologiques, toxiques pour la subjectivité. Or cette subjectivité est toujours à l’œuvre lors de choix politiques et/ou idéologiques qui mobilisent des affects et des investissements, généralement tus et frappés de méconnaissance, comme s’ils se réduisaient et se définissaient « naturellement » comme une quête et une conquête ontologiques, déterminés par l’imperium paranoïaque qui contrevient à la castration inhérente à la condition humaine en tant qu’elle est caractérisée par la dépendance de l’ordre symbolique que le langage concrétise à travers la fonction signifiante et toutes ses conséquences individuelles et collectives. Aussi, choisir de consentir à se sacrifier pour une mystification ontologique, ressortit à la paranoïa dont le colonialisme a représenté un paradigme quant au rejet et à l’exclusion du sujet. C’est bien le sujet comme négation de cette paranoïa qui fait la convoitise du moi qui est toujours visé par l ‘ exclusion, notamment parce que la négation qu’il mobilise et met en œuvre améliore et renforce l’ancrage dans la castration et déjoue par là même la tentative paranoïaque de forclusion de cette dernière. Ainsi, la rupture avec les conceptions simplistes et réductrices de la démocratie, entendue comme une simple lutte et une alternance entre des conceptions –certes différentes- mais toutes placées sous la coupe d’une conception ontologique, exclusive du sujet, devient possible et propice à des questionnements plus dignes et plus respectueux de la condition d’être parlant. Les multiples échecs rencontrés, depuis des décennies, dans les domaines essentiels de la vie sociale :l’éducation, la santé, la justice…ne viennent toujours pas à bout des illusions ontologiques entretenues par le discours du maître, à l’œuvre au sein d’idéologies opposées, toujours et invariablement mises au service d’une méconnaissance dont la ténacité affermit de plus en plus l’exclusion de plus en plus répandue de la subjectivité, c’est -à -dire de la condition de sujet fondée sur la négation du moi et instauratrice d’une altérité indépassable et porteuse d’une division irréductible. Les résistances féroces à la subjectivité réunissent dans un ensemble dont la cohérence implicite, certes masquée par des divergences et des oppositions aussi spectaculaires que criantes, conduit inéluctablement à des ravages individuels et collectifs, de plus en plus sidérants et effrayants.

L’algérianité, comme culture particulière, naît de la mort de « l’être » que certaines conceptions qui y contribuent visent à démentir et à dénier en promouvant des théories identitaires favorables à la paranoïa, d’autant plus individuelle qu’elle est partageable par un grand nombre. Alors qu’elle ne requiert aucun appui ou soutien de type nationaliste, elle peut être volontiers pervertie par des idéologies qui en font une entité totale, une complétude captive de théories totalitaires, exclusives de toute singularité. Or elle fait échec à tout projet ontologique qui compromet la civilisation en tant qu’elle affirme et confirme le primat implacable de la condition humaine et de toutes ses conséquences qui, malgré des régressions certaines, préservent quoi qu’il en soit l’héritage inaliénable constitué par le langage et la parole, vecteurs de la civilisation. Même la politique la plus « hontologique » (LACAN) ne peut s’en départir ! Le retour de ce qu’elle refoule se manifeste à terme sous forme de symptômes qui requièrent une analyse rigoureuse, avec des instruments conceptuels robustes et adéquats, afin qu’ils délivrent tout ce qu’ils contiennent et qui était tu, maintenu insu. Dissocier l’algérianité de la réalisation ontologique avec laquelle elle se confond, met un terme aux dévoiements que lui imposent les projets politiques relevant de la paranoïa qui magnifie un être imaginaire, impossible à atteindre et à réaliser pour des raisons, non pas politiques et/ou idéologiques, mais structurales. La dépendance du symbolique et la castration qui lui est concomitante permettent d’enrichir ses définitions en les affranchissant de toute charge ontologique et idéologique toxique. C’est à mon sens de cette façon que la victoire sur le colonialisme et tous ses avatars sera consacrée et confirmée. Sinon, sa logique à l’œuvre dans tout projet ontologique hantera nombre de programmes politiques et risquera de mettre le peuple sous le joug de nouveaux imposteurs, qui promettront une réalisation ontologique, impossible parce qu’elle est contradictoire avec la condition humaine elle-même. L’idéologie se heurte à la subjectivité qui finit toujours à terme par mettre au jour l’inanité de tels projets. Même les nazis et leur omnipotence initiale ont fini par échouer à garantir l’ontologie à leurs serfs, qu’ils fussent des intellectuels reconnus ou de simples quidams aliénés à un tel projet qui viole et transgresse la civilisation, représentée en chaque être parlant par le sujet. Ce dernier présentifie l’altérité qui subvertit en la négativant l’instance paranoïaque qu’est le moi. Obsédé par la purification et l’élimination du sujet, il ne saurait exister sans lui.

D’où la question : comment subvertir la politique en faisant valoir la subjectivité et sa logique afin de lui donner un autre fondement anthropologique, qui rompt avec la prédominance du moi  et les théories qui le confirment en participant en vain à l’élimination du sujet, représentant de l’inconscient en tant qu’il détermine l’économie subjective et la libère de la notion de besoin pour donner sa place au désir. Refouler le désir en bafouant sa structure est le propre de la politique qui n’a de cesse de ravaler les êtres parlants au rang d’animaux à dompter et à apprivoiser grâce à des théories générales de conditionnement, appliquées aveuglément par des chantres de la débilité, despotes et tyranniques à l’occasion pour anéantir toute trace de singularité.

L’ECONOMIE POLITIQUE ET L’ECONOMIE « PSYCHIQUE » OU SUBJECTIVE SONT INDISSOCIABLES GRACE AUX RELATIONS OBJECTALES FONDEES SUR L’OBJET a QUI ARTICULE LE DESIR AU « PLUS DE JOUIR ».

La subjectivité perturbe l’ordre des besoins en introduisant le désir qui bouleverse les relations objectales, c’est à dire les relations avec les objets censés satisfaire les demandes de tout un chacun qui leur confère des valeurs. C’est ce qui détermine la « fameuse » loi de l’offre et de la demande, sous-tendue qu’elle est par des mécanismes subjectifs qui surdéterminent les besoins biologiques fondamentaux (boire et manger surtout).

Si LACAN a dit de MARX qu’il « est l’inventeur du symptôme », c’est parce qu’il a été celui qui a mis en lumière le rapport de dissimulation que le capitalisme impose entre la valeur d’échange et la valeur d’usage, notamment en refoulant celle-là pour mieux mettre l’accent sur celle-ci. C’est ainsi que la « société de consommation » a pris le pas et refoulé les modalités de production basées sur l’exploitation des corps, réduits à des forces biologiques, chosifiés, désubjectivés, sans désir ni singularité, malgré le vernis démocratique dont le capitalisme se pare, notamment en Occident. Se battre pour faire valoir la subjectivité revient à faire obstacle au capitalisme sauvage et féroce qui sévit dans les société maghrébines, au service duquel des tyrans et autres despotes peuvent épouser n’importe quelle théorie ontologique, démagogique et vaine, uniquement pour le faire triompher et imposer des rapports sociaux desquels la subjectivité est épurée. Il ne reste plus alors comme affects dominants que la peur et la colère. Malheureusement, bien souvent, l’explosion et les différentes manifestations de cette dernière ne sont pas toujours efficientes, d’autant plus qu’elles ne sont pas soutenues par un discours élaboré et conceptuellement solide. D’où le débat qu’elles peuvent et doivent susciter pour élucider les mécanismes subjectifs qu’elles engagent et mettent en œuvre. La fierté, contrairement aux idéologies ontologiques –fussent-elles opposées- ne réside pas dans la force du moi, mais bien dans celle du sujet pour peu qu’on explicite que ce dernier est le représentant d’une altérité essentielle qui fait la spécificité de l’ « être humain », soumis à une division indépassable et nécessaire à l’existence : qui peut se targuer de ne pas rêver dans son sommeil ? Qui peut prétendre qu’il ne fait aucun lapsus ou ne commet aucun acte manqué ? En tout cas, si la subjectivité n’était pas là, il n’ y aurait pas politique au sens où la politique consiste à organiser la production et la distribution de biens matériels en fétichisant l’argent et la plus value dont l’accumulation, grâce à l’exploitation des corps de plus en plus objectivés, exclut toute référence à la subjectivité.

La présence constante de cet Autre qui déjoue la maîtrise du moi et de la conscience, témoigne de la subjectivité qu’il faut prendre en considération et respecter, tant sa relégation s’avère à terme funeste et mortifère, aussi bien individuellement que collectivement. Cette altérité qui est à la base de la structure subjective est la marque infaillible de la civilisation que combat toute économie politique, implicitement fondée sur des théories ontologiques épuratrices du sujet. L’effet ô combien précieux de cette altérité civilisatrice est le passage sur la plan intellectuel d’une dialectique à deux termes à une dialectique à trois termes, qui inclut la dimension du vide dont l’absence est présentifiée par des effets concrets qui le font oublier. De la même façon, la valeur d’échange, oubliée derrière la valeur d’usage qui occupe le devant de la scène, reste toujours opérante « en coulisse » en vue de précipiter l’effondrement de l’hégémonie de l’ontologie sous ses diverses versions idéologiques. Même l’héritage de MARX a été dilapidé par certains de ses lecteurs-idéologues qui l’ont perverti en théorie ontologique, associé à un capitalisme d’état, bureaucratisé à l’extrême et générateur d’une « nomenklatura » avec des « apparatchiks », animés d’un zèle remarquable pour renforcer leur paranoïa et dégrader la logique propre à la découverte de MARX : exploitation et mainmise sur la plus value, laquelle logique doit être d’autant plus recouvrée qu’elle est congruente avec celle que met en jeu la subjectivité. En effet, la politique naît du « manque à être » induit par le sujet. Elle se propose de le combler au détriment de la structure subjective qui s’y oppose radicalement. Sa persistance à passer outre cet obstacle structural est une imposture qui consiste à nier les échecs qu’elle provoque. En s’ingéniant à passer en force, elle peut ravir et faire jouir les forces sociales qui la soutiennent, et attendent d’elle qu’elle exauce leurs vœux de garantie ontologique totale, alors que ses opposants attendent la même chose d’une autre politique, fondée sur une ontologie différente certes, mais une ontologie quand même ! C’est là que « le bât blesse » !!

En tout état de cause, les paranoïaques de camps opposés –partisans du rejet de l’altérité que représente le sujet et la division qu’il instaure en chacun ( e )- ne jouissent que lorsque leurs adversaires proposent une ontologie qui prétend battre en brèche la leur, qu’ils croient supérieure et qui leur évite ainsi de remettre en cause et en question ses fondements théoriques et anthropologiques. La virilité bat son plein au service de la paranoïa qui ne souffre pas la féminité tant son « hommosexualité » est impérieuse.

L’objectif ressortissant ici à la perversion consiste en l’occurrence à démentir farouchement la subversion du corps, opérée par l’ordre symbolique qui retranche aux organes des sens leur « virginité », censée garantir une objectivité insaisissable immédiatement. Il va sans dire que dans un tel contexte intellectuel, l’accès à une autre intelligence est loin d’être assuré ! Pis, c’est la fascisation des rapports sociaux qui est bien engagée : la crise interne, organique du capitalisme néolibéral est opacifiée par la mise en avant de luttes intestines et claniques entre divers tenants du pouvoir qui usent en fait de l’armée pour aggraver l’occultation de l’emprise du capitalisme « sauvage », d’autant plus ravageur qu’il est incapable de se doter d’institutions fonctionnelles et efficientes lui permettant de perdurer. Il s’impose alors de façon despotique et tyrannique d’autant plus que l’armée se met à sa disposition pour menacer, voire éliminer toute velléité de mettre au jour ses véritables fondements économiques, politiques et idéologiques. Les idéologues de la gauche ou du progressisme de droite qui ne jurent que par le renforcement de la paranoïa individuelle et sa « redistribution » ou sa répartition équitables, poussent en méconnaissance de cause la fascisation de la société jusqu’à son point critique, de non retour, comme dans les années 90, où les victimes des fascistes d’obédience islamiste, n’ont eu d’autre chance que de fuir à l’étranger, sans pour autant que cette fuite soit mise à profit pour produire des analyses permettant de « lever le voile » sur ces occultations, opérées depuis des décennies, avec parfois leur propre concours.

L’aliénation sociale infeste toutes les idéologies qui font miroiter des fictions (idéologies ou extensions : S2), assurant le bien-être en occultant, voire en niant l’intension (S1) sans laquelle elles n’existeraient pas. Tout ordre social, qui plus est dominé par le capitalisme et ses différentes formes, met en place tout type d’ « appareil idéologique d’Etat » pour mettre à bas l’ordre symbolique et l’aliénation subjective qu’il détermine et l’oppose radicalement à l’aliénation qu’il établit en vue d’en finir avec le sujet de l’inconscient. Préserver « équitablement » les adeptes des idéologies de l’intension qui rappelle le primat de la lettre via le signifiant, devient le nec plus ultra de l’adaptation et de l’aliénation sociales qui, en rejetant l’unilatère –qui crève les yeux- conduit immanquablement au triomphe funeste de la paranoïa. Aussi le choix ne se situe-t-il plus entre deux extensions, deux conceptions ou deux fictions bilatères prétendant exclure l’unilatère, mais entre celles qui sont censées l’inclure comme l’a fait la métapsychologie freudienne qui a subverti l’anthropologie classique, fondée sur la seule et unique raison du tiers exclu, qui disqualifie le vide en occultant les effets concrets qu’il induit et qui le représentent en tant qu’il est toujours implicitement opérant. Il opère en ordonnant et en organisant l’échappement qui ouvre la voie du transfini, celle que le désir emprunte en élisant à chaque fois des objets mettant en jeu celui qui le cause et qui est sans cesse métaphorisé : l’objet a.

L’orthodoxie ontologique et prédicative constitue de façon caractéristique le discours du maître et engendre ses diverses versions, des plus progressistes, soutenues en général par celui de l’hystérique, aux plus réactionnaires qui le considèrent comme le seul et unique, « naturel » et « vrai » par essence, exclusif de tous les autres.

                                                                           Amîn HADJ-MOURI

                                                                                Juillet/Août 2021

EPILOGUE : LE CONTORSIONNISME IDEOLOGIQUE, AUSSI HUMANISTE QU’EXCLUSIF DU SUJET, EST LA PIRE DES RESISTANCES A L’INCONSCIENT ! COMME IL REPRESENTE UN OBSTACLE MAJEUR A L’AVENEMENT D’UN DISCOURS INEDIT QUI PROMEUT L’AMOUR COMME « LE DON DE CE QU’ON N’A PAS », INITIATEUR D’UNE LOGIQUE PARADOXALE A L’ŒUVRE DANS LE TRANSFERT.

En lui échappant subtilement, la vérité négative le savoir en en devenant la matrice qui fait échec et rend vaine toute « dhommestication » qui la viserait. Cette dernière met en avant tous les savoirs possibles et imaginables pour prétendre mettre la main sur le réel. En multipliant les coups de force imaginaires qui semblent faire échec au symbolique, elle développe une « hommosexualité » qui consacre la paranoïa individuelle et développe sa contagion. Malgré les diverses dérives et leur « enkystement » dans les rapports sociaux, il reste possible, en raison même de la détermination signifiante qui les transcende, d’initier des lectures qui mettent en évidence le réel, et ce, quels que soient les stratagèmes imaginaires prétendant contourner le symbolique et son incomplétude, inhérente à son rapport structural avec le signifié. De ce fait, toute réalité présentifie le réel en tant qu’il lui échappe radicalement. Ainsi, elle lui ôte tout oripeau qui pourrait lui conférer un caractère mystérieux, propice aux allégations occultistes et obscurantistes, de connivence directe ou indirecte avec les théories prédicatives et ontologiques. L’objet a, corrélatif de la dépendance définitive et irréversible du symbolique, ne renforce pas, à mon sens la thèse « mystérianiste » d’un Colin Mc Ginn qui, de manière essentialiste, impute à l’espèce humaine une limite naturelle, constitutive de ses aptitudes cognitives, connotant ainsi négativement la castration symbolique. Malgré la mise en avant de cette limite, l’épistémologie défendue par cette théorie –préoccupée de prédicativité- n’intègre pas l’idée qu’une perte puisse engendrer un gain qui la sublime, sans chercher à la compenser, à la réduire voire à l’éradiquer pour rejoindre finalement la cohorte des sciences rejetant l’imprédicativité qui les fonde et détermine leurs développements pour rejoindre finalement les idéologies ontologiques auxquelles elles finissent par s’identifier, tout en leur servant de caution idéale. En somme, l’objet a libère l’être parlant des impasses du pari pascalien en articulant le sujet avec l’Autre barré, sans que l’un puisse se départir de l’autre, favorisant ainsi l’émergence de la plurivocité signifiante de Dieu. Par le biais de la plurivocité et de l’équivocité signifiantes, et grâce à elles, les moyens de production du discours analytique se renforcent et servent le créationnisme, censé le spécifier. Ce créationnisme requiert cette condition essentielle à mes yeux : celle qui consiste à ne pas confondre la métaphysique propre au discours analytique (les extensions (S2), comme effets conséquents) devançant et concrétisant l’intension (S1), comme antécédence déterminante dont la mise en évidence sert à rendre compte du ratage), avec le « métalangage » qui prétend en finir avec l’échappement et le réel.

 

 

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