JUSTICE : L’INTERDIT DE L’INCESTE, LOI D’AIRAIN (TIERCEITE : UNILATERE) VS LOI DU TALION (BILATERE : ŒIL POUR ŒIL/DENT POUR DENT) !

 

La justice est bien souvent idéalisée dans le sens où elle entretient l’illusion de l’équité dans la répartition de la jouissance, entendue comme le couronnement d’une conception bilatère venant à bout de ce qui lui donne naissance, à savoir sa dépendance du signifiant, pierre angulaire de l’ordre symbolique. Ainsi, elle se départit de la tiercéité qui doit fonder ses expressions et ses manifestations. Par là même, elle aggrave, notamment avec les institutions dont elle se dote, l’aliénation sociale qui tend à récuser toute analyse -quelle que soit sa justesse-, dès lors que le signifiant est invoqué. L’enfermement dans le bilatère amplifie ses pouvoirs de contrainte et participe à la perversion de la fonction paternelle. Cette aliénation sociale, exclusive de l’unilatère, tend à privilégier la sanction punitive qui en retour, renforce la position de « la belle âme » en tant qu’elle ne souffre pas la responsabilité et tend à imputer l’erreur, devenue faute, à d’autres raisons favorables au moi, obsédé qu’il est par l’exclusion du sujet comme altérité le perturbant.

Dans le droit pénal en l’occurrence, la subjectivité n’a pas droit de cité. Pis, elle est pervertie par le recours aux expertises « psy » qui la réduisent à la personnalité, au sens psychologique et psychiatrique du terme. Ce sens exclut résolument l’inconscient et l’altérité qui met en valeur son vide constitutif et promoteur de la métonymie qui fait échec à toute prédicativité, quelle que soit la métaphorisation produite. La clinique analytique nous enseigne quotidiennement qu’il ne faut pas commettre un acte criminel pour endurer une culpabilité plus ou moins intense correspondant à une transgression non pas des lois sociales mais de la Loi structurale qui se solde par la mise en place d’autopunitions susceptibles de se matérialiser dans la vie sociale par la commission d’actes délictueux et répréhensibles, punis par le droit. La sommation de ces transgressions et la confusion qu’elle engendre requiert de les distinguer afin de redonner à la subjectivité sa juste place et éviter ainsi la « chronicisation » de l’amalgame entre les transgressions. Même si les agressions contre l’ordre symbolique ne se voient pas, elles finissent par « exploser », de façon plus ou moins spectaculaire sur le plan social. L’ordre social réagit à raison, mais la place qu’il réserve à l’ordre symbolique est bien souvent réduite quant à l’analyse des actes, commandée surtout par l’arsenal juridique composé des lois existantes et correspondant à un état du rapport de force entre les conceptions et les idéologies qui déterminent l’élaboration et l’orientation de ces dernières. Ainsi, ce n’est pas parce que la peine de mort est abolie en France que le nombre des crimes a augmenté. La loi du talion qui hante toujours certains (es) animés d’un sadisme vengeur, correspond en fait à forclore de tout acte criminel toute marque de subjectivité, au nom de la défense de l’humanité. Elle consiste à mes yeux à tenter de tuer de manière imaginaire le sujet qui présentifie l’inconscient en tant qu’il est immaîtrisable et échappe même à la justice, qui doit faire avec ou bien le rejeter catégoriquement. Comment dès lors concevoir un autre mode de fabrication et de production des lois ? Le pouvoir législatif et ceux et celles qui l’exercent, non sans les autres pouvoirs en sont concernés au premier chef.

Je dirai à ce stade que la justice vise à punir le moi pour le « redresser », voire l’éduquer pour mieux le protéger du sujet, en discréditant implicitement de plus en plus celui-ci. Au service de l’aliénation sociale, elle ne cesse de battre en brèche l’aliénation due à la dépendance du symbolique de tout être parlant. Cette aliénation sociale pousse à considérer que la jouissance dont elle se veut garante, et à laquelle chacun (e) doit s’adapter, est insuffisante. Aussi l’enjoint-on de plus en plus à mieux mettre en échec l’impossibilité qui constitue cette jouissance, en édictant et en appliquant des lois promulguées dans le but de « brouiller les cartes » et d’entretenir la confusion entre la répression et le refoulement, sous ses différentes modalités, voire la forclusion. Autrement dit, comment la justice s’arrange-t-elle avec des lois qui sont promulguées au détriment de la structure subjective ? Et comment un magistrat peut-il lire un crime ou un délit à la lumière de telles lois dont l’élaboration contredit la structure signifiante qui les autorise et les rend possibles ? D’où le recours à la lettre et à l’esprit des lois qui permet d’en faire des lectures et des interprétations différentes, ressuscitant alors la signifiance qui fait échec à leur enfermement sclérosant dans le bilatère, qu’une idéologie dominante, choyée par un ordre social et les discours qui dominent les rapports sociaux le caractérisant, mettra au-dessus de tout.

La justice ressortit d’autant plus au discours du maître qu’un ordre social la dote inévitablement d’un pouvoir qui n’exclut pas la violence pour s’imposer au nom d’une conception anthropologique prétendant apporter à chacun (e) une assurance ontologique, renforçatrice de la paranoïa, et inhibitrice de tout esprit subversif visant la déconstruction -par le rappel de l’unilatère refoulé- de la raison déterminant l’aliénation sociale. Cette aliénation sociale amplifie d’autant plus l’impensé qui procède du refoulement secondaire qu’elle tend à nier l’impossible à penser qui permet justement de penser, et qui constitue l’aliénation symbolique, inhérente au primat du signifiant. Ce qui ressortit à la structure est cette règle d’airain qui procède de l’interdit de l’inceste, sans lequel la condition dite humaine, celle d’être parlant, n’a plus de raison d’être. Cette Loi, non écrite mais inscrite à tout jamais dans le corps, se concrétise dans le « non-rapport sexuel », toujours valide, et imprescriptible quel que soit l’ordre social et ses institutions. Elle est bien souvent déniée par le droit et la justice en tant qu’elle est organisée en appareil institutionnel au service d’une aliénation sociale de plus en plus hégémonique, voire totalitaire, grâce à des idéologies et à des instruments de violence répressive qui ne réhabilitent aucunement le sujet, que ce soit du côté du coupable ou bien de la victime. Réhabiliter le sujet et le restituer dans le travail juridique qui vise la vérité est à mes yeux essentiels, d’autant plus que la justice ne doit aucunement être identifiée à la médecine et à son projet de restitution de l’intégrité de la personne-victime et d’une hypothétique homéostasie, désormais altérée -peut-être à jamais- par une perte, surtout si elle s’avère impossible à compenser, malgré toutes les sanctions/punitions possibles, qui plus est dans un contexte où la peine de mort est abolie. Quant au deuil dont on nous rebat sans cesse les oreilles, est-il conditionné par la punition et sa sévérité qui vont plutôt dans le sens de la loi du talion ? Ou bien accompagne-t-il tout le travail censé restituer la place et la valeur de la subjectivité dans des actes criminels qui visent à « la tuer » et à l’éliminer du côté coupable comme du côté victime ? C’est à mon sens la justesse de l’analyse de l’acte criminel et de la vérité qu’il occulte que l’élaboration et la construction d’un sens nouveau, comme le choix d’une orientation imprévisible et imprédictible deviennent possibles : aucune réparation ne peut combler la place de ce qui a été perdu ! Dès lors, aucune illusion de restitution de l’intégrité antérieure ne doit venir entraver cette élaboration fondée sur la nouvelle valeur que prend le signifiant en tant qu’il fait valoir « le mot comme le meurtre de la chose », et à partir duquel la représentance s’instaure.

La fonction signifiante représente l’envers du droit qui ne veut rien savoir de la division subjective et du sujet. Et ce n’est pas l’appel à des « experts-psy » en tous genres qui permettra au sujet comme Autre de recouvrer sa place au sein d’une institution qui ne jure que par l’autonomie et la souveraineté du moi, pour mieux « mater » la signifiance, comme ont déjà pu le faire des lois scélérates, celles de Vichy, entre autres.

Je conclus en formulant ces questions :

*Comment le discours analytique peut-il contribuer à ce que la justice -grâce à la justesse de ses élucidations- transcende la place envahissante du père imaginaire tant craint et redouté, et partant défié et mis en échec ?

*Comment peut-il éviter l’aggravation de la « psychose sociale » en interrogeant les fondements théoriques et éthiques du droit et les différents savoirs auxquels il recourt, parmi lesquels ceux qui laissent accroire qu’ils concernent la subjectivité, alors qu’ils ne sont en vérité que des instruments au service de la forclusion de l’inconscient, afin de ne pas en être la dupe, surtout si ces savoirs convoqués dans un souci d’éclectisme exhaustif, sont identifiés et confondus avec la vérité ?

Amîn HADJ-MOURI

13/11/21

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