COMMENTAIRE DU TEXTE DE BENOÎT LAURIE
LES « ETALONS-MAÎTRES » ONT BEAU IMPOSER LA « NORME-MÂLE », ELLE
RESTE LEUR « TALON D’ACHILLE » !
Je réponds ici aux arguments que Benoît LAURIE a présentés dans son texte préparatoire aux différents échanges qui nous amèneront à préciser la problématique que nous sommes censés dégager et « travailler » , à la lumière des différents apports de Michel BITBOL, notamment ceux qui concernent la conscience et l’objectivité.
Aussi n’est-ce pas en physiciens, ni en philosophes qu’il nous appartiendra de mener cette tâche, mais bien en analysants (es)/analystes, au service du discours analytique. Autant dire que cette position n’est guère aisée, tant elle est mise en échec par la prétendue civilisation actuelle, dont la prétendue modernité se résume à la pervertir en système, de plus en plus fasciste et totalitaire. Ses deux « mamelles » sont la débilité intellectuelle (exclusion de la tiercéité associée à un enfermement dans une dualité oppositionnelle dédialectisée par le refus du signifiant et l’hégémonie écrasante du bilatère ou du sphérique,qui ne jure que par l’univocité et l’unilatéralité sémantiques), accouplée à une paranoïa, obsédée par la pureté de l’infatuation du moi, constamment menacé par une corruption provenant de sa propre altérité fondatrice, nécessaire à l’existence de tout un chacun. Cette altérité intrinsèque inscrite une fois pour toute dans le corps, le subvertit en le soumettant à la lettre qui représente l’hérésie propre au « motérialisme » (LACAN), lequel renvoie à l’ordre symbolique qui instaure une tiercéité intégratrice du vide, pour imprimer à la subjectivité une orientation borroméenne, négatrice de toute quête d’homéostasie ou d’équilibre. En définitive, cette altérité introduit le « chaos » pour préserver le désir et le garantir en le soutenant de cette loi qu’est l’interdit de l’inceste.
Braver les impératifs explicites et implicites de cette « civilisation », identifiée à la modernité, consiste tout d’abord à mettre son savoir à l’épreuve de la vérité, dont la structure subvertit toutes les conceptions ontologiques, dictées par cette paranoïa qui puise dans toutes les références, qu’elles soient religieuses ou bien scientifiques pour imposer des conceptions ontologiques et prédicatives, exclusives du sujet et de l’inconscient qui le détermine.
L’amour « fou » que chacun (e) se voue d’autant plus qu’il (elle croit) avoir les moyens d’en finir avec l’altérité (l’Autre), pousse à choisir un discours qui nuit à l’intelligence et bafoue le narcissisme, préservateur du « manque à être ». Ainsi, à mon sens, c’est bien la mort de l’être, à l’œuvre dans le refoulement primordial, toujours oublié, qui fait l’assise de l’existence et de la subjectivité. Aussi, chaque fois que l’altérité propre est compromise par un excès d’infatuation moïque ou paranoïaque, l’existence est gravement menacée. La clinique de la subjectivité nous l’apprend tous les jours, pour peu qu’on soit attentif aux dégâts de la « psychose sociale » qui renforce la forclusion de l’altérité en jouant du statut social et socio-professionnel des uns et des autres. Oublier cette altérité essentielle favorise la réification, c’est-à-dire l’objectivation et la chosification prédicatives qui aggravent la débilité intellectuelle et la fétichisation exclusive du signifiant en tant qu’ « il ne peut pas se signifier lui-même ». Cette incapacité n’est pas aléatoire, ni contingente. Elle ne révèle pas de carence de virilité. L’impuissance qu’elle induit renvoie à une impossibilité qui est imposée par la structure que l’ordre symbolique instaure dès lors que le refoulement primordial aura eu lieu. Aussi est-ce bien ce dernier qui organise et ordonne les corps « humains » sur la base d’un défaut irréparable et imparable : celui « du rapport sexuel », qui assure et garantit le passage définitif à la subjectivité, c’est-à-dire à la condition de sujet, confirmé par la dépendance irréversible du symbolique. Et, contrairement à ce que soutiennent les élites, zélotes de la débilité (généralement sorties de « grandes écoles »)qui identifient et confondent savoir et vérité, le déni de ce défaut s’avère à terme mortifère. Quels que soient les arguments brassés et construits par ces dernières -et les institutions qu’elles commandent-, l’enfumage qui s’ensuit, aussi épais soit-il, n’est jamais total puisque la fonction signifiante, à travers sa paire primordiale (S1—S2) reste toujours active et opérante. Ainsi, s’il est soutenable que tout point de vue est idéologiquement déterminé, cette détermination ne saurait être définitive et irrévocable a priori. Les renforts imaginaires, sollicités par un discours pour figer ses illusions ontologiques contre le « manque à être », peuvent -à l’instar d’un symptôme- durer longtemps et aggraver l’inhibition intellectuelle pour mieux procéder à l’exclusion du sujet, et partant de l’inconscient, qui représente la négation nécessaire au moi et à son existence. Ainsi, l’accès au « hors point de vue est empêché en raison d’une limitation, d’une impuissance imposée par une débilité, stimulée par la « psychose sociale » qui ne veut rien savoir de la tiercéité en tant qu’elle transcende toute dialectique dont la réduction à deux termes, conduit à une opposition qu’il s’agit de mettre à bas d’une façon ou d’une autre pour accéder enfin à une totalité et à une complétude imaginaires. Parce qu’elles sont radicalement incompatibles avec la structure du sujet, elles sont l’une comme l’autre, vouées à l’échec, avec le cortège de déceptions, d’amertume, voire de haine de soi projetée sur d’autres, dont la stigmatisation peut aller jusqu’à justifier et légitimer leur mise à mort. Le nazisme n’a pas hésité à identifier-de manière démagogique et « populiste »- le capitalisme aux Juifs pour s’adonner à ses actes immondes et à les justifier. Il en est de même du racisme qui désigne toujours à ceux qui attendent la jouissance de la part de ceux qui les gouvernent, les obstacles qui leur entravent l’accès, et dont il faudra se libérer un jour, dissimulant par là même -grâce aux zélotes- d’une part les mécanismes d’exploitation du capitalisme, et l’extorsion de la plus-value, et d’autre part l’impossibilité de la jouissance pour n’importe quel « être parlant », quel que soit son statut social.
Le refoulement primordial, assise essentielle du « manque à être », organise l’existence sur la base de relations d’objets, animées par des pulsions qui permettent au ratage de concrétiser le « défaut de rapport sexuel » en même temps qu’elles mettent au jour le désir et son corrélat : le « plus de jouir » en tant qu’il confirme l’interdit irrévocable qui frappe la jouissance en tant qu’elle est toujours sous-tendue et déterminée par la nécessaire jouissance phallique dont elle représente la négation, indispensable au sujet.( « S’il fallait une Autre jouissance que la jouissance phallique, il ne faudrait pas que ce soit celle-là.» LACAN). La jouissance phallique ne peut se départir, d’aucune façon, de sa négation qui consiste en un défaut irrémédiable : celui du rapport sexuel, derrière lequel courent tous ceux et toutes celles qui font de son anéantissement leur credo progressiste, n’hésitant pas à hiérarchiser et à classer les conceptions ontologiques pour y faire leur choix. Le ratage rappelle le vide essentiel dont la médiatisation concrète est mise en jeu dans un rapport objectal servant à montrer qu’il opère à partir du principe de la « présentification de l’absence » : l’absence devient visible et palpable, tangible grâce aux effets qu’elle engendre et qui deviennent ainsi saisissables, au risque de laisser de côté ce qui les détermine et qui est effectivement opérant. Cette logique est omniprésente dans la métapsychologie freudienne. Elle a été développée par LACAN pour lui éviter de sombrer dans les idéologies psychologiques, mises au service de l’infatuation du moi et du pervertissement des concepts freudiens, dégradés dans le but de soutenir des opérations de conversions idéologiques auxquelles la psychanalyse a fini par être réduite et identifiée. Ainsi, même « l’amour de transfert » s’est vu ravalé au rang d’affect favorisant toutes sortes de manipulations, qui conduisent à un mode d’aliénation sociale souffrant de moins en moins l’inconscient et sa logique en tant qu’il contredit et contrecarre les dérives perverses, « orchestrées » par la « psychose sociale « qui fait tout pour que l’alternative se réduise à un choix entre des conceptions bilatères, dont le combat qui les oppose n’élimine pas pour autant ce qui les réunit et les rassemble, à savoir la mise à l’écart, voire la forclusion du sujet.
Toutes les dérives perverses proviennent de l’arrogance et de la suffisance de lectures courantes et dominantes, qui prétendent maîtriser la prédicativité en mettant en échec la fonction signifiante dont elles dépendent et ne peuvent se passer. Ces dernières se référent aussi bien à la religion qu’à la science en idéalisant soit l’une, soit l’autre, en fonction de la croyance qui y est placée pour réaliser une prédicativité, garante de l’être de ceux et celles qui, convaincus (es), les partagent et se placent sous leur tutelle « protectrice »,car exclusive du sujet, même si elle compromet l’existence de ceux et de celles qui s’y soumettent.
Comme le mysticisme interroge l’obsession prédicative des dogmes religieux en faisant valoir la dépendance du signifiant et de la négation qu’il met en œuvre, la physique quantique remplit aussi ce rôle auprès de théories physiques qui ont tendance à méconnaître leurs liens indéfectibles à la fonction signifiante et à ses conséquences quant au traitement réservé au réel, qui confirme la soumission de tout être parlant à l’ordre symbolique, lequel reste omniprésent malgré tous les tours de passe-passe imaginaires, destinés à le mettre à distance et à l’oublier, à l’encontre des effets manifestes qu’il procure. Ainsi, les dérives totalitaires proviennent toutes de lectures qui dénient l’échappement : Dieu leur échappe parce qu’il est le seul et unique à être. Il est le seul et unique à incarner l’unité et la totalité, tout comme le réel échappe au savoir scientifique prédicatif, en altérant la maîtrise de la vérité, convoitée par ceux et celles qui s’approprient des connaissances dans le but de faire échec au « défaut de rapport sexuel » et au vide fécond qu’il engendre.
L’impossibilité à saisir le réel est incluse dans toutes les théories et conceptions qui visent et prétendent le dominer. Son défaut est salutaire pour le progrès des connaissances qui gagnent à cesser de se considérer comme celles qui combattent le mieux, et avec efficacité, «le défaut de rapport sexuel », fondateur de l’existence de chacun (e ) et de tous (tes). Faire miroiter une solution définitive à ce dernier revient à bafouer la vérité que contient et renferme toute construction proposée par un être parlant. Même un mensonge la contient et la renferme en tant qu’elle marque de sa présence tout propos ou tout énoncé. Elle actualise sans cesse la mort de l’être qui fonde l’être parlant. Incarnée par la lettre, elle consacre cette dernière pour mettre en valeur l’avènement du sujet. Subsumée, sans forcément être assumée, la lettre -marque caractéristique du vide- bat en brèche toute entreprise de réification, pour sauver l’existence et protéger le sujet, comme une altérité indispensable au moi, sans laquelle il ne subsisterait pas. La clinique des psychoses, au sens freudien, nous l’enseigne assez !
Toutes les théories ontologiques , quelques références qu’elles se donnent, échouent à garantir une prédicativité qui aurait la prétention de se passer du signifiant et des conséquences qui en procèdent. Rien n’advient à l’existence s’il n’est pas nommé. Et toute invocation finit par une évocation du signifiant, même si initialement elle voulait s’en passer et s’en affranchir. Tout « être parlant », quel que soit son savoir, quels que soient ses pouvoirs -et seulement parce qu’il est parlant-, perd son être pour gagner en subjectivité. Aussi manifeste-t-il à chaque fois son impuissance à faire échec à cette impossibilité, qui sanctionne sa quête ontologique et renforce par-là même, in fine, le sujet, sans pour autant « rabaisser » le moi. Aussi, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de rapport sexuel que l’existence se voit ravalée au point de susciter un renoncement ou une démission. Bien au contraire, la féminité, inhérente à cette négation est d’autant plus éprouvante que le moi est attaché à « la norme mâle » qu’il tend d’ailleurs à délier de cette dernière par tous les moyens que lui offrent les discours et les idéologies réfractaires à la subjectivité ,dont elles dépendent cependant et dont elle sont impuissantes à se départir. Autant conclure là-dessus : la négation que le sujet met en œuvre peut progressivement battre en brèche la débilité qui accompagne l’attachement exclusif à la « norme-mâle », lequel rend incompréhensible ce principe logique, énoncé par LACAN : « Il n’y a pas d’universelle qui ne doive se contenir d’une existentielle qui la nie » ! C’est à partir de telles bases épistémologiques qu’il devient possible de s’associer avec d’autres théories valant pour des disciplines et des domaines autres, en vue de renforcer les fondements du discours analytique à partir de sa faille constitutive, qu’il s’agit alors de « compactifier » sans cesse, afin qu’aucun savoir n’ait la prétention de la saturer dans le but de la suturer.
Amîn HADJ-MOURI
25/10/21