Réponse « à brûle pourpoint »

L’AECF (L’Association d’Etudes de la Chose Freudienne et de la logique de l’inconscient) est-elle en péril ?

Que ne faisons-nous pas qui mette à mal cet outil qu’est le collectif d’une association de psychanalyse ?

Voilà ce qui apparait à la lecture du texte « A brûle-pourpoint » d’Amîn HADJ-MOURI, membre fondateur de cette association.
Avant notre prochaine Assemblée Générale, il me paraissait important d’y réagir, notamment parce qui s’y pose la question d’une dissolution dont il est entendu qu’il ne s’agirait pas de la faire à la légère ou de « faire comme Lacan » en son temps, tant les situations concernées ne sont pas comparables, encore que l’objet en est le même : la préservation de la fonction première de ce type d’association qu’est l’élaboration continue pour chacun de ceux qui s’en désignent porteur : du discours psychanalytique.

J’ai pensé, en vue de l’écriture de cette réponse, à ce qui fait socle pour toute institution et que l’on peut nommer « fondation ». Le terme est suffisamment équivoque pour que risque de s’y entendre : « œuvre de charité ». A ce titre, une fondation est ce qui réunit des fonds favorisant la mise en œuvre de ces actions de charité.
Pour ce qui concerne notre objet, les fonds ne sont pas de logique comptable. Il ne s’agit pas d’argent, ni même d’actions chargées de dévouement et d’oblativité. La cause de notre association apparait commune mais ce qui y sont valorisées ce sont les différences et la pluralité caractéristique de la subjectivité : la féminité faisant défaut au mal de l’aliénation sociale.

Il s’agit donc de sortir d’une logique d’échange comptabilisé : où ce qui est produit comme discours l’est à titre de faire-valoir.
C’est reconnaître, avec ce primat du signifiant -sur lequel Amîn insiste à juste titre- qu’il y a nécessairement valeur d’échange pour chaque sujet en tant que tel (du fait de la pluralité que suppose la subjectivité). C’est dire que quoi que je dise, quoi que je fasse, cela participe d’un discours dont je ne pourrais prétendre à la propriété exclusive puisque l’inscription même d’un sujet que représente un signifiant, pour un autre signifiant, laisse le discours que je porte dépasser toute prétention moïque ; et aussi bien : paranoïaque.

Comment n’alimente-on pas cette psychose sociale qui, au travers diverses idéologies, laisse entendue qu’une solution finale aura été donnée à tous ceux qui voudront bien jouer ce jeu de dupe du capitalisme ?
Comment valorise-t-on davantage le Je dupe de l’inconscient ? Et, avec lui : la valeur d’échange qui échappe à tout comptage.

J’insiste sur ce « comptage » car une première remarque qui pourra être faite concernant notre association, dans les faits, est qu’elle dénombre de moins en moins de participants et de moins en moins d’adhérents (faut-il rappeler qu’adhérer ou « alimenter le fond » n’équivaut pas à la mise au travail de ses propres représentations psychiques, dans la logique de reconnaissance du transfert, nécessaire à l’existence d’un collectif autour de la psychanalyse). Le dit « travail » -dont Amîn rappelle qu’il consiste en « coupure épistémologique » favorisant la faille ontologique nécessaire à l’avènement du sujet- s’organise différemment selon que le collectif qui s’y attèle réunit plusieurs dizaines de personnes ou juste quelques-unes.

Il me semble que l’organisation de cartel des cartels ou du dispositif de la passe tels que les avait pensé Lacan ne puisse se suffire du petit nombre.
Pourtant le collectif, cela commence à deux, dès que les deux y reconnaissent du tiers ou ce fameux sujet que représente un signifiant pour un autre signifiant, et ainsi : la signifiance.

Qu’est-ce à dire ? Que nous avons, sans cesse, à mettre au travail notre discours : non pour se donner prestance devant une assemblée d’universitaire (ou de fidèles), mais pour soutenir un discours valorisant l’absence de tout savoir ayant valeur de vérité : quelques soient les preuves factuelles ou les postures humanistes qui le soutiennent.
Cela, bien d’autres s’en chargent et si nous devons nous en distinguer c’est que ceux-là sont parfois réputés : hommes politiques, religieux, PDG, etc. Et qu’ils distillent de l’idéologie non sans conséquence dramatique pour cette fameuse humanité qu’ils prétendent défendre.
Certains scientifiques ne s’épargnent pas de telles postures sur certains thèmes dont celui de l’écologie, vertueux combat, qui tournerait facilement à l’argument justifiant quelques totalitarismes. Aurélien BARRAU, pour ne citer que lui, se dit convaincu de la nécessité de prendre « des mesures coercitives, impopulaires, s’opposant à nos libertés individuelles » [cf. l’article de Anne-Cécile ROBERT in Le Monde Diplomatique de janvier 2020, p.6].

M’étant mis au travail, au regard de quelques-uns de vous, à l’AECF, sur la question du « don » (cf sur ce lien: « Se donner: corps et âme ? », je tiens à souligner la dimension fantasmatique de celui-ci, dans la mesure où s’y joue le jeu d’un « avoir qui garantit l’être ». Dimension fantasmatique qui ne va pas sans son pendant dialectique : l’angoisse, laquelle équivaut à un manque de manque dans la relation du Je à l’Autre.
La conviction qu’auraient certains à être dépositaire d’un savoir suprême (comme il y eut un « soviet suprême ») ou la tendance à y prétendre pour se dandiner devant une assemblée de fidèles est tout à fait néfaste au discours psychanalytique. Il n’y a aucun savoir susceptible d’obturer l’écart de l’Un à l’Autre, et en jouer la prestance ne fait que renforcer : angoisse et symptômes.
Lacan lui-même conscient des effets potentiels des quantités de savoirs dont il faisait preuve, dénonçait la bêtise de ceux qui cherchaient à s’identifier traits pour traits à lui, notamment dans l’usage d’un verbiage dont ils ne maitrisaient ni les tenants ni les aboutissants. Au lieu de cela, appelait-il à ce que chacun se mette au travail…

Une association de psychanalyse se distingue-t-elle par sa popularité ? Assurément non ! Pourtant nombre d’associations attirent le chalan à coup de titres aguicheurs laissant croire que vous pourrez tout y apprendre sur ce que vous n’avez jamais su !
Ce n’est résolument pas la position tenue par les fondateurs de l’AECF et je leur suis reconnaissant d’avoir ouvert un champ battant en brèche tout prétendant au brossage de ses prétentions narcissiques secondaires.

L’âme (psuké) ne peut être que matérialisée dans la mesure où elle n’est justement pas matière. C’est de la mettre en forme que nous lui donnons consistance. Cette mise en forme peut être un discours.
Voilà comment le tiers, en tant qu’il permet de faire écart de l’un à l’Autre, en tant qu’il remet à jour la nécessité d’une autre mise en forme, d’un autre discours, peut témoigner de l’âme.

Cet autre discours ne saurait être produit autrement que par la confrontation que permet la rencontre de la pluralité des discours de ceux qui les portent. Chacun de ceux qui concourent à une association psychanalytique s’y trouvent constamment « dérangés » d’une place que le Moi aurait pu faire croire sienne.

Ce sont là les fondations paradoxales d’une association psychanalytique : ça bouge. Elles ancrent solidement la chose mais bougent : « Wo Es war, Soll Ich werden ». Là où ça était Je dois (nécessairement) advenir.
Or, si le verbiage partagé n’est que lecture et relecture des transcriptions de séminaires de Lacan ou retranscriptions de concepts psychanalytiques, sans plus d’élaboration subjective (psychique), il n’est alors plus question de discours psychanalytique.

Et si ce sont toujours les mêmes auxquels on s’adresse « parce qu’on s’entend bien » et si ces adresses ne sont pas passées ailleurs, auprès d’autres permettant d’introduire encore de l’écart dans ces discours, il en est de même !

Quelles fondations pouvez-nous aujourd’hui inventer pour que cela tienne demain ?

 

Benoit LAURIE,

le 14 janvier 2020

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